lundi 26 septembre 2016

Dilma la mère célibataire




(extrait de " Il était une fois ...En Terres d'Espagne et Portugal"
par Virgile ROBALLO)
Dilma

Trois mouches, la mère, la fille et sainte Yémanja picorent une galette de bouse de vache encore fraîche. Deux petits cochons noirs  s’échappent des cases. Le ciel est un immense tissu bleu sans déchirure aucune. Sa majesté le soleil affirme son fort caractère sur la terre poussiéreuse et rouge du Musseque. Un silence de deuil tombe telle une chape de plomb sur les toitures des « cubatas ». Toute vie se repose en cherchant des forces à  l’ombre.
Dilma perd son temps, assise sur une chaise dans le seuil d'entrée de la case pour bénéficier du moindre courant d'air.  Elle ne parvient pas à trouver, ni le calme, ni la fraîcheur, mais ressent  une douleur de feu qui lui brûle le pied. Une des mouches se pose sur ce maudit pied et semble lui picoter ou lécher la blessure. Dilma ne s'en  rend pas compte vraiment. Mais il lui semble cependant que le travail de l'insecte semble calmer quelque peu la douleur qui pénètre sournoisement comme un serpent jusqu’en haut de sa jambe. L’autre soir, au moment, ou elle s'est faite cette saloperie de blessure, la nuit était encore plus sombre que sa vie. Cette  damné  boite de conserves vide, coupante comme une lame, lui avait pénétré dans la chaire lui faisant encore plus mal que les visites en cachette des soldats « tugas » qui venaient dans le silence de la nuit. En quittant la maison , sa vieille mère lui avait intimé l'ordre d’être à l’heure au rendez-vous.
-             Menina, você sabe, branco não gosta esperar !  Mademoiselle, vous savez, le blanc n’aime pas attendre !
Elle s’est dépêché courant dans l’obscurité et maintenant voila le résultat. Cette maudite blessure.
-              Tugas du diable, que Satan vous emporte en Enfer.  Cria–t-elle de douleur et de rage en pleurant à tristes larmes.
C’est que la boutique de « ti » joão était loin. Sur les épaules, elle portait un sac d’ haricots devant et celui de riz derrière. Elle marchait courbée , chargée comme une bourrique. Pas d’homme à la maison sauf son fils Moisés qui n’était qu’un enfant de 4 ans. Moisés était là assis sur le sol de terre battue de la « cubata ». Il n’avait même pas envie de jouer. Il se  morfondait avec un regard triste de chien battu. Le petit Moisés  était plus  mûr que son âge,  il disait avec tendresse :
-            Maman, quand je serai grand, je serai ton homme. C’est moi qui  porterai les sacs d’ haricots et de riz. Maman je t’achèterai de la peinture, comme celle des dames blanches, pour mettre sur ton visage. Tu seras belle, maman !
-            Mais oui ma petite fleur de bananier. Tu es adorable mon petit bonhomme. Viens que je te prenne dans mes bras, mais attention à mon pied.
-            Oui maman ! Je ne veux pas que tu sois triste.
Ce n’étaient que des paroles. Des paroles d’un enfant, mais de son enfant. Ce petit bout de tendresse, il était si  mignon, avec sa petite culotte blanche en coton fendue  et le cul à l’air. Il était la seule joie de sa vie, mais une joie sans rires. Si elle n’avait pas eu à sa charge sa vieille mère malade, et son fils, elle aurait étripé ces « Tugas » quand ils la pénétraient dans son corps. Elle sentait en elle une haine refoulée.
 Elle aurait été capable d’égorger ces cochons blancs qui salissaient son corps noir. Que faire, sinon subir sans rien dire le martellement de la soldatesque violant son honneur. Un jour elle ne se laisserait plus faire, ni se taire. Un jour viendrait où, elle ne resterait plus amorphe, écrasée malgré elle, en dessous de l’autre, des autres. Un jour, une nuit au moment où, ils volent à son corps le plaisir, elle leur enfoncerait son coupe-coupe dans leur corps comme un matador portant son estocade. Ce jour-là elle tuerait le soldat par devoir et le Tuga par plaisir. Elle se sentirait enfin femme. Une femme marchant le jour dans la rue la tête haute arborant dans son visage un air de liberté....

Virgile ROBALLO