Dilma
Trois mouches, la mère, la fille et sainte
Yémanja picorent une galette de bouse de vache encore fraîche. Deux petits
cochons noirs s’échappent des cases. Le
ciel est un immense tissu bleu sans déchirure aucune. Sa majesté le soleil
affirme son fort caractère sur la terre poussiéreuse et rouge du Musseque. Un
silence de deuil tombe telle une chape de plomb sur les toitures des
« cubatas ». Toute vie se repose en cherchant des forces à l’ombre.
Dilma perd son temps, assise sur une
chaise dans le seuil d'entrée de la case pour bénéficier du moindre
courant d'air. Elle ne parvient pas à
trouver, ni le calme, ni la fraîcheur, mais ressent
une douleur de feu qui lui brûle le
pied. Une des mouches se pose sur ce maudit pied et semble lui picoter ou
lécher la blessure. Dilma ne s'en rend pas compte vraiment. Mais il lui semble
cependant que le travail de l'insecte
semble calmer quelque peu la douleur qui pénètre sournoisement comme un serpent
jusqu’en haut de sa jambe. L’autre soir, au moment, ou elle s'est faite cette
saloperie de blessure, la nuit était encore plus sombre que sa vie. Cette damné
boite de conserves vide, coupante comme une lame, lui avait
pénétré dans la chaire lui faisant encore plus mal que les visites en
cachette des soldats « tugas » qui
venaient dans le silence de la
nuit. En quittant la maison , sa vieille mère lui avait intimé l'ordre d’être à l’heure au rendez-vous.
-
Menina, você sabe, branco não gosta
esperar ! Mademoiselle, vous savez,
le blanc n’aime pas attendre !
Elle s’est dépêché courant dans
l’obscurité et maintenant voila le résultat. Cette maudite blessure.
-
Tugas du diable, que Satan vous emporte en
Enfer. Cria–t-elle de douleur et de rage
en pleurant à tristes larmes.
C’est que la boutique de « ti »
joão était loin. Sur les épaules, elle
portait un sac d’ haricots devant et celui de riz derrière. Elle marchait
courbée , chargée comme une bourrique. Pas d’homme à la maison sauf son fils
Moisés qui n’était qu’un enfant de 4 ans. Moisés était là assis sur le sol de
terre battue de la « cubata ». Il n’avait même pas envie de jouer. Il se morfondait avec
un regard triste de chien battu. Le petit Moisés était
plus mûr que son âge, il disait avec tendresse :
-
Maman, quand je serai grand, je serai ton
homme. C’est moi qui porterai les sacs
d’ haricots et de riz. Maman je t’achèterai de la peinture, comme celle des
dames blanches, pour mettre sur ton visage. Tu seras belle, maman !
-
Mais oui ma petite fleur de bananier. Tu
es adorable mon petit bonhomme. Viens que je te prenne dans mes bras, mais
attention à mon pied.
-
Oui maman ! Je ne veux pas que tu
sois triste.
Ce n’étaient que des paroles. Des paroles
d’un enfant, mais de son enfant. Ce petit
bout de tendresse, il était si mignon, avec sa petite culotte blanche en
coton fendue et le cul à l’air. Il était
la seule joie de sa vie, mais une joie sans rires. Si elle n’avait pas eu à
sa charge sa vieille mère malade, et son
fils, elle aurait étripé ces « Tugas » quand ils la
pénétraient dans son corps. Elle sentait en elle une haine refoulée.
Elle aurait été
capable d’égorger ces cochons blancs qui
salissaient son corps noir. Que faire, sinon subir sans rien dire le
martellement de la soldatesque violant son honneur. Un jour elle ne se
laisserait plus faire, ni se taire. Un jour viendrait où, elle ne resterait
plus amorphe, écrasée malgré elle, en dessous de l’autre, des autres. Un jour,
une nuit au moment où, ils volent à son corps le plaisir, elle leur enfoncerait
son coupe-coupe dans leur corps comme un matador portant son estocade. Ce
jour-là elle tuerait le soldat par devoir et le Tuga par plaisir. Elle se
sentirait enfin femme. Une femme marchant le jour dans la rue la tête haute
arborant dans son visage un air de liberté....
Virgile ROBALLO
Virgile ROBALLO