samedi 8 octobre 2016

Le Pingouin Tropical




Le Pingouin Tropical  *
( Un agent de la P.I.D.E./D.G.S. la police de la dictature)
-             Mais qui est donc cet étrange  pingouin tropical en train de jaboter ? Claudio plus qu’interloqué, sortit la tête par la fenêtre de la jeep.
Virginia interrogea du regard son mari et son ami de jeunesse Armando, le chauffeur, sans comprendre.  Son regard plongea à l'extérieur de la voiture, et découvrit un petit bonhomme presque écrasé au sol. Il avait un costume noir usé et trop grand pour ce rachitique tronc d’arbre sec qu’il était. Il portait une chemise blanche, râpée et souillée par une odeur forte et malodorante de  transpiration. L’ensemble lui donnait l’allure maladroite d’un nouveau manchot atterri par erreur sous les tropiques ! D’une façon pataude, il essayait de soulever sa petitesse sur la pointe de ses bottes, tout en faisant le salut fasciste à la statue sereine de Diogo Cão qui resta de granit et très indifférente à ses couinements et jabotements de pingouin:
-             L’Angola est à nous ! L’Angola est à nous ! Hurlait-il, comme pour s’en convaincre.
-             Ce n’est rien, dit Armando le chauffeur. C’est un vieil ultra, un certain Pashteka, ancien directeur de la Jeunesse Portugaise de Guardangal.  Il est arrivé en Angola, il y a une année environ,  pour civiliser cette Afrique arriérée et la peupler de sang blanc!  Ce sont ses dires. Des restes de propagande Satanlazariste. Des stupidités, mon cher Claudio! Que peut-il peupler cet arbre sec et épineux sans fruit. C’est un vieux garçon comme notre chef de Lisbonne. Peut-être même un homosexuel. Peu importe ce qu’il est. Il y a de la place pour tout le monde. Par contre il ne peut pas y avoir de place pour de telles idées. Si ça ne change pas ce pays va droit au désastre. Pourtant avec la victoire des démocraties en quarante-cinq nous pensions que c’était leur fin. Mais ici en Angola aussi bien qu’en Métropole, ces idées ont la vie dure et prospèrent encore. La  deuxième guerre Mondiale de 1939 à 1945 n’a pas fini son travail, ni en Espagne, ni au Portugal mon cher Claudio. Pour le moment il vaut mieux  la fermer sinon on va finir dans les camps de la mort de Caxias, d’Aljube, de Péniche ou même de Tarrafal au Cap Vert ! Visiblement agacé par toutes les immondices sur l’Angola qui sortaient de la bouche du vieux pingouin tropical, Armando  grinça des dents et respira fort comme si l’air lui manquait :
-              Le soleil tropical lui a séché la jugeote à ce crétin. Quant à la civilisation  de progrès dont il parle, elle peut attendre 500 ans de plus. Puis se tournant vers Claudio et Virginia, Armando leur dit à voix basse.
-             L’on raconte dans l’élite pure et dure des blancs de Luanda que la vérité serait toute autre. Ce fou, aux idées sales d’un autre temps, aurait été écarté par le pouvoir de Lisbonne de son poste de directeur de la Jeunesse Portugaise, suite à des bourdes répétitives.  C’est que l’União Nacional, création de notre chef, souhaitait donner une image, seulement une image Claudio, plus conforme aux nouveaux temps. Alors, ils se sont débarrassés de ce pingouin, en l’exilant vers l’Afrique. Bien sûr, cela lui a été proposé comme une promotion.
Claudio avait effectivement reconnu au premier regard l’ancien Docteur Pashteka, c’est-à-dire  l’exalté  Chef et Directeur Général de la Jeunesse Portugaise dont le devoir était de distiller la propagande satanlazariste auprès des jeunes  de plus de dix ans dans les établissements scolaires du district de Guardangal. En l’écoutant une douzaine d’années plus tôt, quand il était jeune collégien haranguer les élèves de 6ème le jour de la rentrée scolaire, ses jambes se mirent à trembler comme les brins d’herbe dans la prairie de son village les jours de vent de Nordeste. Le soir même, le jeune Claudio écrivit une lettre affolée à son père David pour lui référer, qu’il préférait être berger de chèvres et de moutons à Roustina, qu’étudiant au Lycée National de Guardangal !
 Le traumatisme fut tel qu’à la fin des vacances de Noël, le jour où il devait retourner au Lycée de Guardangal, le petit Claudio eu une colique qui dura trois jours. Cela mis fin définitivement à sa scolarité grossissant ainsi le club « des études pourquoi faire ? » selon le chef au-dessus de tout, ne supportant aucune contestation ni commentaire, un chef qui a toujours raison.
 En effet, son retour aux études n’eut jamais  lieu et il devint berger.
Mais un berger digne de figurer dans le tableau de Silva Porto Guardando Rebanho. Claudio était un berger romantique. Pendant la journée jouait de la flûte à ses moutons et le soir gribouillait des bucoliques.
Au cours  de longs mois, presque une année, ses sommeils furent parsemés de cauchemars et les nuits agitées. C’est que les discours du docteur Pashteka venaient perturber son sommeil. L’enfant de douze ans était effrayé par le visage rouge d’ivrogne de Pateshka. Parfois Claudio se réveillait la nuit en plein cauchemar. Sa chemise en lin blanc était drainée par un fleuve de sueur. Dans ses cauchemars accompagnés de cris du trouble de panique, il voyait gesticuler une horrible bête aux bras courts et menaçants. La bête  vociférait du haut de son estrade de la salle de classe. Elle proclamait que le Portugal était en guerre en Afrique.
-             Notre patrie a besoin de vous. Notre pays a besoin de tous ses patriotes pour le défendre des terroristes, des nègres, des ennemis notre Portugal et de Dieu.
 Cette guerre épouvantait déjà Claudio. L’enfant qu’il était ne savait pas bien pourquoi, mais quelque chose dans son cœur lui disait que ce n’était pas sa guerre. Il préférait jouer avec ses moutons à la laine si douce sur les collines verdoyantes de Roustina. C’était bien plus naturel taquiner les chèvres mais qui parfois se cabraient contre lui en lui montrant des cornes menaçantes.
 A ce moment-là et sans comprendre pourquoi, le petit Claudio aimait jouer à se faire peur et cela lui donnait la chair de poule. Mais muni de son bâton de cognassier, en forme de crosse d’évêque, il cognait par terre. La chèvre prenait peur aussi et devant la menace finissait par rentrer dans les rangs du troupeau. Claudio se  sentait fier d’être berger.
 Cela c’était quand il était enfant de douze allant sur les treize ans à Roustina.
Maintenant arrivant en Angola, une douzaine d’années plus tard, marié et père de famille, il regrettait ce choix-là.  Trop tard ! Mais son fils Wald ne serait pas berger ! Voilà ce que Claudio se promettait en silence.
 Le souvenir de Pateshka est resté pour Claudio adolescent un vrai traumatisme.
-             Le Pateshka, ici, à Luanda! Mais c’est impossible se dit Claudio. Il regarda la réaction de sa femme et de son vieil ami Armando. Avaient-ils entendu ses paroles silencieuses qu’il s’était dit à lui-même ?
-             C’est impossible ! Moi qui ai fui ce monstre quand j’étais enfant, je le retrouve en Angola alors que je suis adulte ? Serait-ce tout ceci de mauvais augure ?
Claudio semblait perturbé. Tout d’un coup il se laissa gagner par de la superstition.
-    Non, ce ne pouvait pas être le Pateshka d’autrefois. Non. Je refuse d’y croire, se dit en lui-même Claudio. Ce petit tas de merde qu’il avait là, devant les yeux, était bien plus petit que celui qu'il avait vu avec ses yeux d’enfant. Dix-sept ans s’étaient passés depuis cet événement traumatisant. Comme il  détestait ce croûton de vieux fasciste, il le haïssait même. S’il n'avait pas été accompagné  par son ami Armando, sa femme, Virginia et son bébé, il l’aurait envoyé d’une fois pour toutes en enfer, et l’aurait fait damner par tous les diables. Puis sentant la colère  remonter en lui tout en faisant en sorte de la garder en silence pour lui.
-    Putain de merde ! Je déteste ce virus, ce parasite de la société, ce bourreau qui avait traumatisée, pendant de larges années, des générations d’enfants et d’adolescents. Pourra-t-on pardonner un jour à ce type de crapules ? Se demandait Claudio dubitatif.
-             Pendant des années et des années, depuis 1933, ces salauds ont lavé le cerveau à des milliers de jeunes pour ensuite les polluer avec des idées fascistes et les contaminer en y ajoutant des microbes du Satanlazarisme.  Puis plus calme et regardant le ciel.
-             Combien d’années faudra-t-il, pour que dans une société  future, soit complétement endigué le virus du fascisme italien, du Satanlazarisme, du Bestamontisme, du Hitnazisme mais aussi du Satanstalinisme ?
 Puis après un moment d’interrogation Claudio se demanda :
-              Combien d’années faudra-t-il pour créer des êtres humains respectueux des autres sous la lumière humaine de la démocratie ?
Maintenant les traits du visage plus détendus et le raisonnement plus sage :
 Peut-être faudra-t-il pardonner. Pardonner pour ne pas continuer à alimenter  la haine. Oui, pardonner à ces crapules sans cœur, c’est les faire douter de leurs certitudes, leur montrer qu’il y a d’autres chemins. Mieux leur montrer que l’homme n’est pas un, mais multiple, dans la richesse de la diversité. Oui, leur montrer à ces monstres inhumains qu’il y a de la place pour tous, dans ce pays, dans cette Europe et dans ce Monde.
– Non, Messieurs Salazar, Franco, Hitler, Pétain, Staline d’hier et d’aujourd’hui encore. Non ! Le chef n’a pas toujours raison ! Criait en silence Claudio.
Dans son monologue intérieur Claudio parvenait de plus en plus à préciser sa pensée.
- De plus,  la vengeance ne ferait que placer les victimes d’aujourd’hui au même niveau que les tortionnaires d’hier. Cependant, le jour où la démocratie sortira du brouillard, car la brume finira bien par se lever, la justice devra être faite pour tous ces jeunes, et tous ces êtres humains qui ont été traumatisés, dans leur tête, dans leur cœur, et parfois dans leur corps. Ces salauds devront répondre de leurs actes.
-Mais Claudio tu parles tout seul ? Lui demanda sa femme.
- Non Virginia ! Mais qu’est-ce que tu dis-là, mentit Claudio quelque  peu agacé.
- Pardon, mon chéri. Je croyais. Dit Virginia avec un sourire ironique.
- Ce n’est rien Claudio, lui dit Armando,  qui soudain eu des craintes que le passé troublé de  de son ami ne revienne à la surface. Ne fais pas comme la huppe, qui passe sa vie à gratter la merde des bouses de vache. Claudio, maintenant tu es en Angola un beau pays avec plein d’avenir. Mon Claudio, maintenant il faut regarder la vie devant
Toi. Mon ami, oublie le passé !,
         Vite ! Vite ! Redémarre la voiture Armando, dit Claudio, sinon
Je vais casser la figure à ce pingouin.