lundi 10 octobre 2016

Une vieille jeep en révolte




Une bagnole en révolte
         Le plateau de Nova Lisboa pourrait bien s’appeler la région la plus transparente. Le ciel était d’un azur à enivrer de passion les yeux les plus vides de sentiments. Çà et là, des nuages blancs rêvant d’aventures amoureuses, se déplaçaient mollement en  somnolent. De sa hauteur majestueuse, le roi soleil tropical déployait ses ardeurs. Il s’agrippait avec force à  cette grande assiette creuse à l’envers  faite de terre rougeâtre, qui s’étendait maintenant à perte de vue. Tout ça, c’est le plateau de Nova Lisboa.
 Sur les hauteurs irrégulières du plateau, le moteur vieillissant de la jeep respira avec satisfaction un air plus frais et limpide. Maintenant, l’on avait l’impression que la jeep reconnaissait son chemin les yeux fermés.
 Elle se disait à elle-même  que c'était agréable de revenir au pays, de se retrouver chez soi, de revoir sa maison de Nova Lisboa. Même en étant plus jeune, elle n’avait jamais été folle de la côte touristique au sud de Luanda.
Celle-ci allait jusqu’à Moçamedes où soufflent des  vents chauds et secs qui contrastent complètement avec la froideur des eaux du courant de Benguela.
Ses quatre roues sur un macadam de misère ou, les pieds dans l’eau glacée, c’était tout simplement l’enfer. Avec cette chaleur du diable, dans cette zone dite touristique par les blancs, son sang jaune-or visqueux tourbillonnait à l’intérieur de sa culasse. Il risquait même de tourner au noir et devenir un liquide rêche et acide. Elle avait beau chercher l’air avec son système de refroidissant qui tournait désespérément à fond, ses poumons s’essoufflaient. Le joint de culasse menaçait de casser. Elle n’en pouvait plus.
Cette température, était peut-être agréable pour ces colons, au visage de craie, venant du froid des montagnes du nord du Portugal. Oui se dit la pauvre, cette chaleur-là ne pouvait être agréable qu’à ces Tugas.  C’est que depuis cinq siècles en Angola, ils ne foutaient rien. Rien pour mon Angola. Par contre, ces parasites, faisaient travailler les angolais comme des esclaves et ils en faisaient même venir des îles de Saint Tomé et Principe.
-             Mais pourquoi vivent-ils dans des palais et alors que  les africains habitaient dans des baraquements ?
 Elle se posait des questions. Beaucoup de questions, mais en réalité, elle ne savait rien.
 Elle  ignorait même ce que c’était le froid. Elle avait entendu dire qu'elle avait été fabriquée, parait-il, dans la banlieue parisienne,  par des mains calleuses aux accents étrangers. Il parait qu’en hiver Paris était glacial. Mais elle ne s’en rappelait pas du tout. Est-ce que la mémoire commençait à lui faire défaut avec l’âge ?
Ce dont elle se rappelait c’est qu’elle était arrivée après un mois de bateau au port de Lobito.
Perdue, elle le fût par tant de changement, mais ensuite elle s’habitua à tout. Elle n’avait pas eu le choix. Après, pendant sa longue vie, elle, la bagnole, n’avait fait que des kilomètres, sous la chaleur humide, toujours chargée comme une bourrique sur des routes où même le diable n’aurait pas voulu rouler.
 Une vie de merde, une vie d’esclave, sans jamais pouvoir décider, faire des projets, des choix. Une vie faite de dire oui Monsieur, oui Madame et amen à toutes leurs volontés et caprices. Jamais elle n’avait pu se réaliser selon sa volonté. Toujours obéir.
Néanmoins, il n’y avait en elle, ni  haine, ni  rancœur. Ce n’est pas bon d’avoir de mauvaises pensées, bien que parfois, elle eut une envie folle de foncer contre un platane et de tout casser. Mais le dieu africain soit loué, cela n’arriva jamais. Elle gardait toujours de l’espoir, pour demain. Demain les choses changeront. Changeront, peut-être ! Elle ne savait pas.
Maintenant, elle était vieille, elle aurait mérité une retraite tranquille, pas une retraite de misère ne permettant pas à une personne de vieillir dignement, non, mais, elle ne se plaignait jamais. Il y avait encore en elle un élan d’énergie, venant de son cœur de fer, une envie de rendre encore service  à son patron. Un patron ou un colon, ou quelque chose de semblable. Elle n’était pas allée à l’école comme les blancs et certains mots étaient des chinoiseries pour elle. De plus, elle n’entendait plus très bien.
Non son patron, Armando, ne pouvait pas être un colon. Elle savait quand même que le colon était méchant mauvais avec les africains. Non Monsieur Armando était une bonne personne et tellement il différente des autres crapules.
 Mais ce n'était pas le cas de sa garce de  femme qui se faisait appeler Dona Dulce. Que dieu d’Afrique veuille la pardonner, mais cette crétine, elle la détestait.