dimanche 23 octobre 2016

J'ai besoin de croire en toi !




Pourquoi diable être toujours dans la braise !
Pourtant, il était plus que temps que son patron Armando réduise la vitesse. On arriverait bien avant le coucher du soleil. Que diable, toujours dans la braise.
Elle faisait le bilan de ce qu’était sa vie. Jamais une minute à elle. Jamais le temps de s’asseoir. Jamais le temps de parler avec son mari ses petits-enfants ou ses enfants toujours pressés et stressés.
Elle n’était pas vraiment une voiture, une dame respectée de tous. Elle n’était qu’une pauvre jeep mal aimée. Elle n'avait jamais été estimée à sa juste valeur, même si elle avait passé sa vie  à avaler des kilomètres comme une esclave. Elle n'avait jamais connue une de ces routes angolaises, lisses comme des feuilles de papier blanc, comme le prétendait faussement la propagande de Lisbonne.
Elle avait un souvenir de feuilles de papier qui devait dater des années 58 ou 60. Sa mémoire jadis d’éléphant avec les années devenait une mémoire de moineau. Mais que faire. Elle se rappelait en effet qu’en traversant ces maudits Musseques de misère,  des feuilles tombaient du ciel comme des averses. Elles étaient ébouriffées de lettres rouges  et grasses,  de différentes tailles. On les trouvait même sur le bord de la route.
« Halte au colonialisme portugais !  Cinq-cents ans déjà ! Dehors le fascisme de Satanlazar ! Dehors les Tugas !  Debout peuple d’Angola. Luttons unis pour l’indépendance de notre patrie. Liberté ! Unité ! Indépendance ! Rejoignez tous le MPLA »
C’était son patron, Armando, qui lui lisait les papiers. Elle, pauvre bagnole, ne savait pas lire, comme les 90%  des autres voitures angolaises. L’école, ça ne nous concernait pas. C’était seulement une préoccupation des visages de craie. Notre boulot à nous, les bagnoles, était de rouler, travailler comme des esclaves, pour les Tugas. Après une de ces journées de travail endiablé, nous retournions au Musseque dormir dans les taudis de nos baraquements. Nous laissions tomber nos os moulus sur une literie faite de « capim », une sorte de foin dru séché au soleil, avec des ventres ronds remplis de ces sataniques kilomètres. Tandis que les Tugas, sans un simple merci, s’en allaient imbibés d’un orgueil démesuré dans leurs maisons dorées. Quelles maisons ma jolie Oshum !
Mais que voulez-vous ! C’est la volonté de dieu, leur dieu. Nous, les pauvres, on ne sait pas lire. Non, jamais le temps de feuilleter le moindre livre ! Qui savait ce que c'était ? Non, jamais, jamais le temps de regarder les beaux paysages de notre pays, notre Angola. Eh ! Attention à ce nid de poule. Attention à cet autre trou.
Mais bientôt Nova Lisboa. L’air était de plus en plus limpide, presque frais. Une certaine fraîcheur qui pénétrait par les narines. On ouvrait les portes et voilà, elle  pénétrait à l’intérieur de ton corps comme un torrent blanc de lait de coco. Quelle sensation de bien-être,  après cette chaleur Luandaise qui t’écrasait au sol en brûlant ton corps, ton coeur et ton âme. Il lui semblait même que çà cahotait moins en apercevant au loin les maisons blanches de la ville.
 Nova  Lisboa était une charmante cité de province qu’elle portait dans son cœur. Mais vue de Luanda, elle n’était que le cul de Jude. Des ingrats !  Ô mes mollets !  Ô mes cardans ! Ô mes amortisseurs. Se plaignait-elle. Par moments elle avait les rotules à terre ! Je n’en peux plus ! Mais ma belle déesse Oshum, quand va-t-on arriver, viens à mon aide, viens à mon secours. Je me sens si seule que j’ai besoin de croire en toi ! Si au moins mes parents étaient encore là. Malheureusement ils sont partis si tôt et dans des circonstances qu’il vaut mieux oublier. Comme j’aimerais avoir quelque chose à m’accrocher, devenir un enfant et même croire à ce père Noël des blancs !