Pourquoi diable
être toujours dans la braise !
Pourtant, il était plus que
temps que son patron Armando réduise la vitesse. On arriverait bien avant le
coucher du soleil. Que diable, toujours dans la braise.
Elle faisait le bilan de ce qu’était sa vie.
Jamais une minute à elle. Jamais le temps de s’asseoir. Jamais le temps de
parler avec son mari ses petits-enfants ou ses enfants toujours pressés et
stressés.
Elle n’était pas vraiment une voiture, une
dame respectée de tous. Elle n’était qu’une pauvre jeep mal aimée. Elle n'avait
jamais été estimée à sa juste valeur, même si elle avait passé sa vie à avaler des kilomètres comme une esclave.
Elle n'avait jamais connue une de ces routes angolaises, lisses comme des
feuilles de papier blanc, comme le prétendait faussement la propagande de
Lisbonne.
Elle avait un souvenir de feuilles de
papier qui devait dater des années 58 ou 60. Sa mémoire jadis d’éléphant avec
les années devenait une mémoire de moineau. Mais que faire. Elle se rappelait
en effet qu’en traversant ces maudits Musseques de misère, des feuilles tombaient du ciel comme des
averses. Elles étaient ébouriffées de lettres rouges et grasses,
de différentes tailles. On les trouvait même sur le bord de la route.
« Halte au colonialisme
portugais ! Cinq-cents ans
déjà ! Dehors le fascisme de Satanlazar ! Dehors les
Tugas ! Debout peuple d’Angola.
Luttons unis pour l’indépendance de notre patrie. Liberté ! Unité !
Indépendance ! Rejoignez tous le MPLA »
C’était son patron, Armando, qui lui
lisait les papiers. Elle, pauvre bagnole, ne savait pas lire, comme les
90% des autres voitures angolaises.
L’école, ça ne nous concernait pas. C’était seulement une préoccupation des
visages de craie. Notre boulot à nous, les bagnoles, était de rouler, travailler
comme des esclaves, pour les Tugas. Après une de ces journées de travail
endiablé, nous retournions au Musseque dormir dans les taudis de nos
baraquements. Nous laissions tomber nos os moulus sur une literie faite de
« capim », une sorte de foin dru séché au soleil, avec des ventres
ronds remplis de ces sataniques kilomètres. Tandis que les Tugas, sans un
simple merci, s’en allaient imbibés d’un orgueil démesuré dans leurs maisons
dorées. Quelles maisons ma jolie Oshum !
Mais que voulez-vous ! C’est la volonté
de dieu, leur dieu. Nous, les pauvres, on ne sait pas lire. Non, jamais le
temps de feuilleter le moindre livre ! Qui savait ce que c'était ?
Non, jamais, jamais le temps de regarder les beaux paysages de notre pays,
notre Angola. Eh ! Attention à ce nid de poule. Attention à cet autre
trou.
Mais bientôt Nova Lisboa. L’air était de
plus en plus limpide, presque frais. Une certaine fraîcheur qui pénétrait par
les narines. On ouvrait les portes et voilà, elle pénétrait à l’intérieur de ton corps comme un
torrent blanc de lait de coco. Quelle sensation de bien-être, après cette chaleur Luandaise qui t’écrasait
au sol en brûlant ton corps, ton coeur et ton âme. Il lui semblait même
que çà cahotait moins en apercevant au loin les maisons blanches de la
ville.
Nova
Lisboa était une charmante cité de province qu’elle portait dans son
cœur. Mais vue de Luanda, elle n’était que le cul de Jude. Des ingrats ! Ô mes mollets ! Ô mes cardans ! Ô mes amortisseurs. Se
plaignait-elle. Par moments elle avait les rotules à terre ! Je n’en peux
plus ! Mais ma belle déesse Oshum, quand va-t-on arriver, viens à mon
aide, viens à mon secours. Je me sens si seule que j’ai besoin de croire
en toi ! Si au moins mes parents étaient encore là. Malheureusement ils sont
partis si tôt et dans des circonstances qu’il vaut mieux oublier. Comme
j’aimerais avoir quelque chose à m’accrocher, devenir un enfant et même croire
à ce père Noël des blancs !
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