mardi 18 octobre 2016

La baleine blanche




Dina, la domestique de la maison, était une métisse svelte comme la reine de Saba. Elle était bavarde devant les regards de Monsieur Armando, le patron, mais  elle restait silencieuse comme une carpe devant les reproches de Madame Dulce. Dina, la servante prétendait en aparté que sa maitresse était une hyène capable de réclamer sa part et même de voler un morceau de carcasse d’impala aux gros lions blancs.
-             Ce que les visages de craie peuvent manger et cette baleine blanche encore plus. Elle se gave comme un chancre. La Madame Dulce était grasse comme une baleine et ronde comme un tonneau à l’huile de palme. On se demande comment fait son mari pour lui poser le pantalon dessus, se moquait, en riant en cachette, toute la servitude de la maison.
-             Je mange, parce que j’ai à manger, moi ! Mais qu’est-ce que cela peut faire à cette tribu négrillonne, aux ventres creux. Mon dieu, ils vivent comme des animaux. Je ne peux même pas les voir en peinture. Puis Poursuivant avec emphase et passion.
-              Ce que j'admire et m'attire c'est cet Angola blanc. Il mange et possède sans limites. Puisque tous les blancs chassent, dévorent dans cette jungle, cette réserve africaine, quatorze fois plus étendue que la superficie de notre Portugal.
-             Pourquoi ne devrais-je pas  faire de même ? Ne suis-je pas leur patronne ! Moi, Madame Dulce, Maîtresse de toute cette négritude, par  la volonté de Dieu, je veux ma part, toute ma part ! C’est mon devoir et mon droit ! Que cela se sache, criait-elle rouge comme braise crépitante de bois de châtaignier.
Tout ce que nous possédons nous appartient grâce à notre courage et à notre travail, bande de paresseux. Nos maisons, nos plantations, nous appartiennent et gardez-vous d’y toucher !
Par la volonté de dieu, nous avons apporté la civilisation et la  foi en Notre Seigneur Jésus Christ. C’est pourquoi selon la loi et la justice  divine cette terre africaine sera à nous, pendant des années, des siècles et des siècles, de gré ou de force.
 Ces maudits nègres  peuvent aboyer, tant qu’ils veulent, mais dans leur Musseque. En fin de compte, ces  sales noirauds ne sont qu’une bande de bandits de terroristes indépendantistes. Des lâches ! A la moindre déconvenue, ils s'enfuient dans le cœur de la forêt, la queue entre les jambes de peur de recevoir un coup de pied au cul.
-             Mais Dulce, comment peux-tu parler ainsi de ces gens qui ne t’ont rien fait et qui ne réclament que ce qui leur appartient. N’ont-ils pas été dépossédés  de leurs terres ? Ne sont-ils pas de ce pays autant que toi, voir même plus ? Ne sont-ils pas, tout simplement des personnes, comme toi et moi ?
-             Des sales nègres, voilà ce qu’ils sont !
-             Je ne sais pas qui est sale. En tout cas ils se lavent plus que beaucoup d’autres personnes ! J’ai entendu dire par ta maman que ton défunt père s’était lavé trois fois dans sa vie, à sa naissance, pour son mariage et lors de sa mort.
-             Ne me parle pas de mes parents! des ratés, des incapables. Mais tu as vu les tiens ?
-             Peu importe. Tu n'as  que le teint de la couleur de la peau  dans ta bouche. Une bouche qu’à force de dire des saletés, elle finit par sentir mauvais ! La couleur de la peau ! Tous les jours ! As-tu, au cours de ces dix ans passés dans ce pays, essayé de te mettre à leur place, pour les comprendre, pour les découvrir, les connaître et voir ce qui hante leurs coeurs? Tu devrais ! Il serait temps de les regarder, ne crois-tu pas ! Ne vois-tu pas que tes arguments ne tiennent pas, qu’ils reposent sur des mensonges que tu veux passer par des vérités ? Dulce, ce n’est pas parce que l’on répète des mensonges pendant des siècles que ces mensonges deviennent des vérités !
-             Non, non et non. On ne mélange pas les torchons avec les serviettes. Si tu les aimes tant, tu n’as qu’à aller à habiter avec eux dans le Musseque. Tu y seras bien reçu !
  Madame sortit de la maison en claquant la porte et partit faire un tour à cheval dans la plantation. 
Une heure après, elle rentra plus calme à la maison, mais Madame Dulce campait toujours sur ses positions. Puis la chef de la maison fit observer à son mari, que l’on ne faisait pas d’omelette, sans casser des œufs.
-             Ta femme, Armando, n’a pas fait ce long voyage, depuis son village des Beiras, dans le nord du Portugal,  pour être une pauvre diablesse. Pauvre, elle l’avait été et trop longtemps. Tout cela c’était du passé.
-             Mon joli, mets-toi ça dans ton caillou, plus dur que le granite ta Roustina !
 Maintenant la roue de la vie avait tourné. Le passé n’existait plus, seul le présent l’intéressait. La tension électrique de Madame  était toujours prête à provoquer un court-circuit. Dulce finit par dire à son mari qu’il n’était pas un homme. Tu n’es même pas un maître, capable de se faire obéir.
 Alors, si elle devait porter le pantalon à la maison et se servir du fouet, voire de ses armes de chasse à la « palanca negra », une sorte géante d’antilope noire, pour activer ces fainéants de nègres, qui ne pensent qu’à faire la sieste sous les cocotiers, à faire l'amour toute la nuit dans leurs tanières, au lieu de travailler, elle le ferait. Je les fouetterai, moi Monsieur.
Ces africains ce sont des indigènes, des païens, des sauvages qui ne mangent presque  rien. Si on ne mange pas, comment peut-on travailler. Des radins !
 Ils ne dépensent pas le moindre sou, pour acheter ce n’est-ce qu’un peu de tissu et couvrir décemment leurs vergognes. Tout leur argent s’en va en « cachaça », une sorte de rhum local.
 Alors Armando, comment veux-tu qu’ils aient l’idée de travailler, ne serait-ce qu’un peu, pour gagner leur vie. Ils ne pensent qu’à forniquer toute la nuit et à engrosser leurs grosses bonnes femmes aux seins nus. Mais elle, Madame Dulce, leur apprendrait à coups de fouet ce que c’est le travail et les bonnes manières ! Bandes de sauvages ! Bande de bons à rien !

Le lecteur bien que silencieux tout au long de cette péripétie courante dans les milieux des colons portugais blancs des colonies portugaises en Afrique dans les années 50 ne peut plus rester sans rien dire. Révolté par de tels propos il interroge :
-             Madame, le monde blanc travaille pour son gain et son bien-être. Mais l'homme africain a travaillé forcé et avec violence, pendant des siècles gratuitement,  pour qui ?

Photo d'embrigadement fasciste de la jeunesse à l'époque de la dictature de Salazar 1932-74