(Ce récit est un extrait de la fiction
"En Terres d'Espagne et Portugal")
Laissez venir à
moi cet enfant
***
... Wald allait déjà dans ses 10 ans. Comme
tu le sais déjà lecteur il était un enfant espiègle, malin et taquin.
Parfois il avait des airs présomptueux et même une certaine désinvolture
colorée d’humour. Il n’était nullement un enfant comme les autres.
Plus mûr que ne laissait paraître son âge, il parlait et agissait comme
un adulte. Son comportement jetait souvent un certain trouble chez les gens
qu'il fréquentait et mine de rien préoccupait ses parents.
Mais qui n’aurait pas aimé être le parent de
cet enfant tellement attachant ? De
sa manière d’être se dégageait un cœur pur d’enfant, et de ses lèvres charnues,
un sourire de ciel bleu.
Dans cette manifestation du 15 mars il se
sentait à l’aise comme poisson dans l’eau.
L’on aurait dit Gavroche dépassant
l’enfance et voulant aller au-delà de l’humain. Il avait dans son cœur, la joie
et la passion du vieux militant. Cet enfant semblait ne se sentir jamais si
bien que dans la rue ! Il était joyeux parce qu’il se sentait libre.
Quand son père le traitait de petit sauvage,
il riait, mais quand sa mère le traitait de petit sale gosse, il se fâchait
quelque peu.
C’était sa façon à lui de rendre par la
tendresse et aussi par la désinvolture, l’attention de tous les instants qu’il
recevait de ses parents. Quel que soit son comportement, il voulait en
être la fierté de ses parents.
C’est que Wald savait qu’il avait toujours été
le fruit et le trait d’union de l’amour de ses parents, mais il soupçonnait
aussi être la cause de leur destin africain.
Peut-être pour toutes ces raisons, Wald était
particulièrement content d’être dans le cœur de la manifestation. A le voir
ainsi, l'on dirait qu'il attendait cet événement depuis longtemps.
Cette
manifestation serait de bon augure pour l'Angola tout entier. Pour ses parents
aussi. Ils ne regretteraient pas leur venue en Afrique. Les trois avaient été éloignés par la force de son papy David. Wald ne s'en souvenait pas, il ne le connaissait que par le courrier qui arrivait de métropole.
Une
lettre en chaque début de mois. Cela durait depuis presque dix ans.
Est-ce qu’un jour, lui Wald, pourrait faire un vrai bisou à son papy. Il ne
voulait pas du bisou à la fin de la lettre qui le laissait plein de saudades
et même un léger point de côté.
Son papy, Viendrait-il un jour de cacimbo, le brouillard angolais, le
chercher à la sortie de l’école Sà da Bandeira ?
De plus ce Portugal d'Europe, pays de
mauvais souvenir pour ses parents, dont on évitait de parler à la maison était
tellement loin. Ce Portugal, situé plus haut que l’Angola sur la mappe monde de
son école, ce n’était qu’un petit rectangle vert que la vaste Espagne en jaune
semblait vouloir avaler! Comment ce Portugal si petit avait-t-il pu échapper à la domination espagnole? Vraiment,
on ne sait pas par quelle magie la belle
et forte Espagne n’était pas
arrivée à baigner ses pieds à l’ouest de la péninsule Ibérique sur les plages
dorées de l'océan Atlantique, se demandait Wald étonné.
A
regarder cette mappe monde, la logique ce serait de voir un seul pays en cet
espace ibérique. Alors, pourquoi cela n’avait pas été ainsi, se demandait Wald
intrigué. Puis il rajouta. Ça
doit être l’exception qui confirme la règle, comme disait son maître de C.P.
En trois mois d'école, Wald avait
appris à lire, tellement il avait envie de déchiffrer le courrier de son grand-père et savoir par lui-même
qui était ce papy et ce qu’il
écrivait vraiment.
Il
aurait vraiment aimé pouvoir
dire papy, écouter la résonnance de ce mot dans son cœur, sentir sa main se
poser sur sa tête, puis sentir la chaleur de cette même main lui caresser le
visage.
Quel ne serait pas le bonheur de Wald si à son tour, il pouvait toucher la
barbe blanche et piquante, comme un hérisson, de son papy.
Auparavant, avant qu'il ne sache lire, il
pensait parfois que papa et maman lui cachaient une partie du contenu des
lettres.
Certains comportements de ses parents
laissaient penser qu'il y avait des secrets, des non-dits en l'air. Mais il ne
voulait pas non plus embarrasser ses parents avec ses questions. Il faisait
finalement confiance aux décisions, aussi bien de papa que de maman. Il se
satisfaisait avec plaisir de toucher des yeux, des mains les lettres que son
lointain papy avait touché aussi avec ses yeux et ses mains.
Il
s'imaginait même sentir la chaleur des mains de papy dans ces deux ou trois
feuilles d’un méchant papier de couleur jaunâtre presque transparent.
Wald parfois laissait glisser ses petites
mains sur les feuilles de papier, comme aveugle lisant le braille, pour
s’imprégner et sentir la proximité de ce
grand-père vivant aux six-cents diables.
Mais maintenant, Wald savait lire et même
griffonner des phrases. Il remarquait
que son Papy avait une façon étrange d’écrire le « W » de son prénom
dont les pointes semblaient dessiner deux cœurs. Pour lui, pas de doute, cela voulait dire que
son grand père même là-bas, dans ce très lointain Portugal, l’aimait. Lui
aussi, il aimait beaucoup, beaucoup son papy.
Cependant, il avait appris, petit à petit
avec les mois et les années, que sa grand-mère ne l'aimait pas. Elle n'écrivait
jamais un mot. Ni bon, ni mauvais. Rien ! C'est comme si elle n'existait.
Ses parents, malgré ses questions insistantes à son
sujet, n'étaient pas bavards.
C’est dans ces moments-là que l'on sentait chez papa monter une colère refoulée qui lui
colorait le visage. Maman très vite coupait court, arguant que c'était des
histoires du passé sans importance. Pourquoi s’intéresser à des choses, des
personnes laides quand il y a tant de beauté pour découvrir ?
-
Sans chercher querelle, mieux vaut s’éloigner
des personnes qui ne valent pas la peine de notre attention Wald ! Dit
Virginia avec un léger nœud dans la gorge.
Wald remarqua que
son père ne prononçait jamais le nom de la dite grand-mère. Pour l'évoquer il
utilisait un mot qui marquait bien la distance, la fracture.
Ce mot froid
était « l'autre ». Un mot qui
traduisait la distance, la blessure que papa
s'efforçait d'ignorer. Mais Wald voyait bien dans les yeux humides de maman que
la blessure ne cicatrisait pas.
Cela était dur et parfois même Wald faisait des
cauchemars. Comment cela était-il possible ? N’étaient-ils tous du même
sang ?
Cependant un jour il
découvrit toute la vérité ou presque.
La dite
grand-mère était la cause de leur expulsion vers l’Afrique ?
Ce jour-là, il sentit sa joie habituelle se
transformer dans un courroux qui explosa
dans des gros mots à l'égard de la méchante sorcière de sa grand-mère.
-Papa ! « L'autre » la sorcière, si je
la rencontre je l’envoi rôtir en enfer !
–
Laisse tomber Waldito. Ce n'est pas la peine de se mettre en colère. Elle ne sait
ni lire, ni écrire comme tant de gens dans ce pays de Satanlazar. Elle n’a pas
non plus appris à aimer. Tu sais mon petit Wald l’amour et le respect de
l’autre, l’amour et le respect de la société, l’amour et le respect de tous
ceux, proches ou distants, égaux ou différents, qui t’entourent à l’école, au
village, à la ville cela s’apprend à la
maison, dans les écoles, les universités. Mais quel est le pourcentage de parents, de grands- parents qui ont
fréquenté l’école, le lycée, l’université dans ce pays de Satanlazar ? Mon
Wald je crois qu’une personne sans éducation en général, est plus proche de
l’animal sauvage que de l’être humain avec des valeurs humanistes
–
Mais
Papa c’est quoi ça, des valeurs humanistes ?
–
Surtout pas les valeurs de ta grand-mère,
mais celles des gens comme ton papy ! Tu apprendras mieux tout cela quand
tu seras plus grand ! Ta grand-mère ne sait pas regarder, comprendre, elle
ne sait qu’ haïr !
Wald se jura à lui-même qu’un jour, il dirait à cette
vieille garce illettrée ses quatre vérités.
-
Ce que les ignorants peuvent être farcis d’une
certaine morale et méchanceté. Dit Wald dans un souffle de dépit.
-
Ces mots ne sont pas de toi mon Wald, lui
dit son père plein d’admiration. Mais qui t’a appris cela ?
-
Mais mon papy du Portugal ! Qui
voudrais-tu que ça soit ! Rétorqua Wald avec un rire malin. Je l'ai lu
dans une lettre de papy. Mais tu ignores encore que maintenant je sais lire ?
-
Mais non ! Tu vois c'est important de
lire, de savoir ! Dit Claudio d’une voix chaleureuse et en prenant avec
tendresse son fils dans les bras.
-
Papa, j’aimerais tant faire un bisou à mon
papy.
-
Et moi rien ?
-
Ô papa, mais moi je t’adore toi et
maman ! Ça ne se voit pas ?
-
Mais si ! Mais si ! C’est
important de le montrer, mon Wald !
Même
si dans ce pays n’est pas de bonne morale de le montrer !
-
Ah Papa ! Je voulais t’en parler.
Nous avons changé de professeur de Religion et Morale. Tu le savais ?
-
Non ! Avec la collecte du coton dans la plantation de notre ami Armando le
soir je suis complétement épuisé. Même pas le courage de parler !
-
Je sais ! Mais j’en ai parlé avec
maman !
-
Et alors !
-
Alors quoi ?
-
Le professeur. Qui ‘est-ce !
-
Oh ! Un très vieux monsieur ! Un
curé ! Il a déjà commencé à balayer la morale de papy !
-
Ah !
Cà ne vas pas être drôle alors !
Mais fais attention Wald. Ne sois pas trop impulsif !
-
Impulsif moi ?
-
Tu sais dans ton cours de Religion et
Morale, comme dit ton papy « é preciso saber separar o joio do
trigo », c’est-à-dire, séparer le blé de l’ivraie...
***