vendredi 16 septembre 2016

Expulsés en Angola 1961



Arrivée à Luanda
Là-haut, dans le ciel bleu de Luanda, le soleil du mois août déchirait les chiffons de nuages blancs. A droite s’étendait le tapis vert des pelouses piétinées par quelques maisons coloniales hautaines et méprisantes. A gauche s’étendait sans fin « le Musseque », la favela angolaise. Des cases carrées misérables au toit de zinc se dressaient dans le rouge de la terre à l’odeur de sang. Dans la baie de Luanda ,un vent capricieux sortait les cocotiers de la plage de leur somnolence et hérissait la crêtes des vagues de moutons blancs. Une vaste esplanade, que le Gouverneur colonial avait fait construire très rapidement, (certains disait à la va vite), suivait la mer pendant quelques kilomètres . Sa forme en fer à cheval  élargi ,la faisait ressembler à un boa prenant le soleil. Grâce à ce genre de démonstration, personne ne  pouvait plus douter qu'en Angola la modernité et le progrès étaient en marche, par rapport à d’autres contrées d ’Afrique, où la misère et le désordre ne pouvait être qu'affligeants. Grâce à dieu et à Satanlazar, dans ce pays, cette terre lusitanienne, depuis cinq siècles, il y avait la paix mais aussi l’ordre, l’autorité et la sécurité. Ailleurs, ils pouvaient continuer à crier des mensonges, mais l’Angola, dieu soit loué, dans le respect, suivait le bon chemin. Il ne pouvait en avoir qu’un, le leur. Exactement au centre de l’esplanade construite en granit   provenant de la carrière des Lajes de Roustina,  se dressait dans une posture héroïque et froide la statue de Diogo Cão. Dans la main gauche, il tenait une épée et de sa main droite, il soutenait une sphère armillaire couronnée par la croix de l'Ordre du Christ. Son regard semblait figé pour l'éternité dans le lointain. A ses pieds, un petit jardinet fleuri de becs de perroquet  tentait d’apporter un peu de gaieté et un grillage en fer forgé peint récemment en noir  brillait dans un  éclat soleil et complétait cet ensemble vraiment très austère . Dans la partie inférieure du monument l’on pouvait lire, écrites en lettres dorées : En l’année de grâce de 1482 Diogo Cão découvrit le fleuve Zaïre et le Royaume du Congo.
Cela faisait donc plus de cinq siècles que la culture et la civilisation Lusitanienne en Afrique imposait sa glorieuse présence !
 Mais ce qui attirait l’attention du passant, c’était un haut mât blanc, planté énergiquement au sol. Il perçait le ciel comme une lance où flottait fièrement dans le ciel azuré déchiré de nuages, un drapeau portugais hautain et démesuré. Son pouvoir d'attraction était-tel qu'il dominait tout l’ensemble.
 Ainsi, légitimé par la volonté de Dieu, par le courage d'hommes illustres au passé glorieux, le Portugal commande et ordonne.
 Comment imaginer, l’inimaginable. Il ne manquerait plus que d’autres envisagent de  gouverner ce qui est nôtre. Où a-t-on vu un pays africain prospère dirigé par des africains ? Couper la canne, cueillir les grains de café, ramasser le coton, couper le sisal, ça oui. Chacun à sa place et dieu à la sienne. Mais Dieu sait ce qu’il fait…
-            Comment lecteur , tu sembles interloqué, même révolté par de tels propos. Tu te dis : quel dieu d’amour et créateur de tous les hommes pourrait-il différencier et sous-estimer ainsi une partie de ses enfants !
Et bien, figure toi que ta question ne nous intéresse pas… Nous les portugais avons été chargés par le Très-Haut, le Tout Puissant de l’univers, du ciel et de la terre d’une magnanime mission, celle de faire découvrir le monde au monde avec nos caravelles. Mais ce n'était pas un but unique,sa volonté suprême était que nous y propagions Sa foi, le gouvernions en Son nom et selon Ses propres lois.
Alors, pas question que des mouvements indépendantistes ne viennent troubler l’ordre établi. Que nous devions composer avec ces bandits de terroristes, de pitoyables assassins,  à la solde de ces matérialistes  communistes. Si nous les laissons faire, ces mécréants vont jeter ce pays et le monde tout entier dans  des eaux croupies. Dans des  terres du diable que polluent des grands diables cornus et poilus à la queue fourchue. Des rats d’égouts de Moscou, ces satanés bolcheviks.
Après tout, Moscou ….Moscou, pourquoi toujours parler de Moscou, vous savez bien que leur saloperie de révolution, ne vaut pas un clou de la sainte croix de mon seigneur Jésus Christ. Un être humain, une vie, un pays  sans dieu  finira dans le feu. Le feu éternel, m’entendez-vous  athées du diable et faiseurs du mal en cette terre d’Angola.
                                                  L’Angola est nôtre ! « Angola é nossa ! Angola é nossa ! *»

Tu vois Papy, l'arrivée de mes parents en Angola ne se faisait pas
 dans un climat aussi apaisé qu'ils auraient pu le souhaiter, des mouvements raciaux et des idées d'indépendance créaient de réelles tensions qu'un œil averti aurait pu certainement discerner.
Mais mes parents y croyaient, cependant, quelle ne fût pas leur stupeur quant-ils rencontrèrent :

images du fascisme au Portugal et en Espagne années 50

Le pingouin tropical
-            Mais qui est donc cet étrange  pingouin tropical en train de jaboter ? Papa plus qu’interloqué, sortit la tête par la fenêtre de la jeep.
 Maman interrogea du regard son mari et le chauffeur sans comprendre.  Son regard plongea à l'extérieur de la voiture , et découvrit un petit bonhomme presque écrasé au sol. Il avait un costume noir usé et trop grand pour ce rachitique tronc d’arbre sec qu’il était. Il portait une chemise blanche, râpée et souillée par une odeur forte et malodorante de  transpiration . L’ensemble lui donnait l’allure maladroite d’un nouveau manchot atterri par erreur sous les tropiques ! D’une façon pataude, il essayait de soulever sa petitesse sur la pointe de ses bottes, tout en faisant le salut fasciste à la statue sereine de Diogo Cão qui resta de granit et très indifférente à ses couinements et jabotements de pingouin:
-            L’Angola est à nous ! L’Angola est à nous !... hurlait-il !
-            Ce n’est rien, dit Armando le chauffeur. C’est un vieil ultra, un certain Pashteka, ancien directeur de la Jeunesse Portugaise de Guardangal.  Il est arrivé en Angola, il y a une année environ,  pour civiliser cette Afrique arriérée et la peupler de sang blanc!  Ce sont ses dires. Des restes de propagande Satanlazariste. Des stupidités, mon cher Claudio! Que peut-il peupler cet arbre sec et épineux sans fruit. C’est un vieux garçon comme notre chef de Lisbonne. Peut-être même un… Peu importe ce qu’il est. Il y a de la place pour tout le monde. Par contre il ne peut pas y avoir de place pour de telles idées, cela mèneraient ce pays au désastre. Avec la victoire en 45 nous pensions que c’était leur fin. Mais ici, ces idées,  prospèrent encore. La  deuxième guerre Mondiale de 1939 à 1945 n’a pas fini son travail ni en Espagne ni au Portugal mon cher Claudio. Pour le moment il vaut mieux  la fermer sinon…
 Visiblement agacé par toutes les immondices sur l’Angola qui sortaient de la bouche du vieux pingouin tropical, Armando  grinça des dents et respira fort comme si l’air lui manquait :
-             Le soleil tropical lui a séché la jugeote à ce C… Quant à la civilisation  de progrès dont il parle, elle peut attendre 500 ans de plus. Puis se tournant vers Claudio et Virginia, Armando leur dit à voix basse.
-            L’on raconte dans l’élite pure et dure des blancs de Luanda que la vérité serait toute autre. Ce fou, aux idées sales d’un autre temps, aurait été écarté par le pouvoir de Lisbonne de son poste de directeur de la Jeunesse Portugaise, suite à des bourdes répétitives.  C’est que l’União Nacional, création de notre chef, souhaitait donner une image, seulement une image Claudio,  plus conforme aux nouveaux temps. Alors, ils se sont débarrassé de ce pingouin, en l’exilant vers l’Afrique. Bien sûr, cela lui a été proposé comme une promotion.
Papa avait effectivement reconnu au premier regard l’ancien Docteur Pashteka, c’est-à-dire  l’exalté  Chef et Directeur Général de la Jeunesse Portugaise dont le devoir était de distiller la propagande salazariste auprès des jeunes  de plus de dix ans dans les établissements scolaires du district de  Guardangal.  En l’écoutant haranguer les élèves de 6ème le jour de la rentrée scolaire au lycée, les jambes de papa se mirent à trembler comme les brins d’herbe dans la prairie de son village les jours du vent de Nordest. Le soir même, il écrivit une lettre affolée à son père pour lui dire, qu’il préférait être berger de chèvres et de moutons à Roustina, qu’étudiant au Lycée National de Guardangal !  Le traumatisme fut tel qu’à la fin des vacances de Noël, le jour de son départ pour rejoindre le lycée, papa eu une colique qui dura trois jours. Cela détermina l'avenir de mon père, finalement son retour aux études n’eut jamais  lieu et il devint berger. Un berger qui pendant la journée jouait de la flûte à ses moutons et le soir gribouillait des bucoliques.  Pendant quelques mois, durant la nuit, ses sommeils furent très agités. C’est que les discours du docteur Pashteka venaient perturber son sommeil. L’enfant de douze ans était effrayé par le visage rouge d’ivrogne de Pateshka. Parfois papa se réveillait la nuit en plein cauchemar, sa chemise de lin blanc était trempée par un fleuve de sueur. Il voyait gesticuler une petite silhouette aux bras courts et menaçants, qui  vociférait du haut de son estrade en proclamant que le Portugal était en guerre en Afrique, que le pays avait besoin de tous ses patriotes, pour le défendre des terroristes, des nègres, des ennemis. Mais la guerre épouvantait papa. Il préférait jouer avec ses moutons à la laine si douce. Il aimait taquiner les chèvres qui parfois se cabraient contre lui en lui montrant des cornes menaçantes. Dans ces moments-là, papa, se mettait à les craindre et cela lui donnait la chère de poule. Alors, muni de son bâton de cognassier en forme de crosse d’évêque, il cognait par terre. La chèvre rentrait dans le rang et papa se sentait fier d’être berger. Cependant, bien plus tard papa ne put s’empêcher de regretter en partie ce choix. Son fils ne serait pas berger. !!!
Tu sais Papy, le souvenir de cet homme est resté pour mon père un vrai  traumatisme
C'est impossible se dit en lui-même papa. Moi qui ai fui ce monstre quant j’étais enfant, je le retrouve ici maintenant alors que je suis adulte. Serait ce de mauvaise augure ?
 Papa semblait très perturbé. Tout d’un coup il se laissa gagner par de la superstition. Non, ce ne pouvait pas être le Pateshka d’autrefois. Non, je refuse d’y croire, se dit en lui-même mon père. Ce petit tas de merde qu’il avait là, devant les yeux  était bien plus petit que celui qu'il avait vu avec ses yeux d’enfant. Dix-sept ans s’étaient passés depuis cet événement traumatisant. Il  détestait ce croûton de vieux fasciste, il le haïssait même. S’il n'avait pas été accompagné  par son ami Armando, sa femme bien aimée, Virginie et son bébé , il l’aurait envoyé en enfer, ce contrefait et l’aurait fait damner par tous les diables. Il détestait ce microbe, ce parasite, ce bourreau qui avait traumatisée pendant des années des générations d’enfants et d’adolescents. Pourra-t-on pardonner un jour à ce type de crapules, se demanda  papa  dubitatif. Pendant des années et des années de 1933 à 1974 ces salauds ont lavé le cerveau à des milliers de jeunes pour ensuite les polluer avec des idées fascistes et les contaminer en plus avec les microbes satanlazaristes.  Combien d’années faudra-t-il , pour que dans une société  future , soit complétement endigué le virus du fascisme. Combien d’années pour créer des êtres humains respectueux des autres sous la lumière humaine de la démocratie ?
 Peut-être faudra-t-il pardonner, pour ne pas continuer à alimenter la haine. Oui, pardonner à ces crapules sans cœur, c’est les faire douter de leurs certitudes, leur montrer qu’il y a d’autres chemins. Leur montrer que l’homme n’est pas un, mais multiple dans la richesse de la diversité. Oui, leur montrer qu’il y a de la place pour tous dans ce pays, dans cette Europe et dans le Monde.
– Non, Messieurs Salazar, Franco, Hitler, Pétain, Staline etc… d’hier et d’aujourd’hui encore. Non ! Le chef n’a pas toujours raison ! Criait en silence papa.
De plus, la vengeance ne ferait que placer les victimes d’aujourd’hui au même niveau que les tortionnaires d’hier. Cependant, le jour où la démocratie sortira du brouillard, car la brume finira bien par se lever, la justice devra être faite pour tous ces jeunes, et tous ces êtres humains qui ont été traumatisés, dans leur tête, dans leur cœur, et parfois dans leur corps. . Ces salauds devront répondre de leurs actes.
-Mais Claudio tu parles tout seul, lui demanda maman.
- Non Virginia, mais qu’est-ce que tu dis-là, mentit papa quelque peu énervé.
- Pardon, mon chéri. Je croyais. Dit maman avec un sourire ironique.
- C’est rien Claudio, lui dit Armando  qui soudain eu des craintes que le passé troublé de  de son ami ne revienne à la surface.Ne fais pas comme la huppe,ne gratte pas  la vieille merde de ces bouses de vache. Il faut regarder devant soi,
         Partons, partons, redémarre la voiture Armando, dit mon père comme s’il avait encore peur du pingouin tropical.
         
***


- Tu sais Papy, je crois bien que Papa avait vraiment très  mal vécu le fait d'avoir croisé lors de son arrivée en Angola le chemin du pingouin tropical. Il décida que pour le moment, le mieux pour lui était de s’enfuir au fond de sa caverne

Refuge dans sa caverne
Papa se recroquevilla contre la porte de la jeep. S’il pouvait au moins échapper au regard de ses compagnons de voyage. Son envie immédiate serait de se cacher au fond d’une caverne. S'étaient-ils rendu compte de quelque chose. Peut-être pas, mieux valait faire semblant de rien, ne pas en rajouter.
-J’ai un coup de barre. Je crois que je vais m’assoupir quelques minutes, dit papa en se réfugiant dans la fuite.
-Mais oui, mon chéri, pique un petit somme ! Lui dit maman qui le regardait attendri, elle l'aimait tant son Claudio. Elle adorait quant il la prenait dans ses bras, quant il lui déposait des baisers tendres sur les lèvres, quant il lui murmurait à l'oreille des mots d'amour.
Oui, mon chéri, dors, pensait-elle, je veille sur toi !
Armando se mit à rire pour détendre l’atmosphère. C'est peut être l’effet de la chaleur. A moins que ce ne soit le décalage horaire. Ah, non, j’ai compris, je crois que tu as été piqué par la mouche tsé-tsé,
         
Mais papa dormait déjà à poings fermés comme le paresseux accroché à une branche.

Papy, je crois que tu as bien connu ma mère Virginia, je crois qu'elle était très bonne élève. Est-ce que tu as une idée de ce qu'était le Cours de géographie à l’époque de maman
Papa était profondément assoupi, Maman, par contre,  regardait à travers la lunette arrière de la jeep. Elle voyait disparaître de plus en plus loin  la silhouette du pingouin. Son crâne couleur de cire luisait. Ce n’était plus qu’un point au milieu d’une tache noire. Elle se demandait un peu angoissée quelles autres étranges surprises ils allaient trouver dans cet Angola qu’ils ne connaissaient que par le cours de géographie de Cm1. Tant d’années étaient passées depuis cette époque, mais des mots, des phrases des cours raisonnaient encore dans ses oreilles:
La capitale de l’Angola est Luanda. Sa superficie est de 1 200 000 km2. Cette province ultramarine est quatorze fois plus grande que le Portugal.
-Mais comment est-il possible qu’une province soit plus grande que notre Portugal  s’était demandé  maman, qui était la 1ère de la classe. Elle fixa le maître du regard en entendant cela, mais il était hors de question de mettre en cause son savoir et encore moins de l’interrompre.
Il poursuit son exposé en disant :
C’est la plus riche de nos provinces d’outre-mer. Elle produit du pétrole, des diamants du café, de la canne à sucre du…
-            Aha ! aha ! la plus riche… Maman avait, le pensait-elle, bien  compris. Mais,  elle se répétait  en elle-même à mesure qu’elle assimilait l'enseignement, que le  maître parlait bien d'une province portugaise, mais où a-t-on déjà vu une province quatorze fois plus grande qu’un pays ou une nation. Non ! Non ! pas possible. Je suis sûre que c’est de la propagande officielle que l'on nous sert à l’école. Des petits cœurs de mensonges pour les enfants, qu’ils nous font passer pour des vérités. Non !  Non ! Je comprends maintenant. La vérité, c’est que le Portugal occupe ce pays lointain pour ses richesses.
Maintenant maman n’était plus une enfant. Elle n’était plus à l’école de Roustina.  Ce qui était incontestablement vrai,  c’est qu’en ce samedi du mois d’aout de 1953, elle était en Angola, avec son Claudio, Armando son ami de toujours, et son enfant de quelques mois dans son giron. Elle n’était pas triste, elle n’était pas gaie non plus. Maman se demandait avec une interrogation  sans réponse  de quoi serait fait demain. C'est ce que j'ai appris plus tard de la bouche de ma mère, mais elle ne m'a pas tout dit ou compris.
 Papy, tu sais je crois aussi que dans la voiture conduite par Armando, il y a avait dans la pensée de chacun, la même interrogation :



De quoi sera fait demain ?
Vingt-cinq ans s’étaient écoulés. L’Angola du cours d’histoire de maman et papa était déjà bien loin, très loin ! Maintenant maman était en train de rouler en jeep avec deux hommes : ses anciens camarades de l’école primaire de Roustina. Armando était devenu propriétaire d’une plantation moyenne de canne à sucre, mais aussi de tabac et de coton, sans oublier des petites terres produisant du café. Claudio, était devenu son mari et moi le fruit des entrailles de maman je comptais à peine comme passager! Tout le monde a trouvé sa place dans la jeep qui est devenue rougeâtre à cause de la poussière. Armando qui conduit  sans trop de secousses, insinue que sa jeep est docile et en même temps caractérielle comme un âne. Il prétend même qu'elle n’a nullement  besoin d’être conduite tellement elle connaît par cœur le moindre nid de poule de la route entre Luanda et Nova Lisboa. Papa dont la chemise blanche fait ressortir le  rouge d’écrevisse de son visage semble vouloir séduire une seconde fois maman.
- Je retrouve mon beau Claudio, le séducteur, celui qui voulait plaire à la maîtresse d’école autant qu’aux filles de la classe, dit Armando content et heureux de retrouver son ami  d’enfance.
Mais papa  ne réagit pas trop à la plaisanterie de son ami.Calé au fond du siège du copilote, et droit dans sa cuirasse, il était prêt à faire face aux cahotements d’antilope de la jeep. Par la pensée, il se sentait prêt à parer à tous les coups que leur préparait leur vie africaine.
 Maman disposait de tout l’espace de la place arrière de la voiture. Elle était toute occupée par ce que je représentais déjà pour elle. Elle était, confiante, de toute façon sa vie en Angola ne pouvait pas être pire qu’au Portugal.
La jeep ne s’occupait de personne tout en veillant sur tout le monde.
 -Je vais leur montrer à tous et en particulier au petit bonhomme, dont elle enviait la jeunesse et l’avenir, que je ne suis pas encore un tas de ferraille comme le prétend mon nouveau patron.
La jeep roulait sereine, presque heureuse, comme lors des promenades du dimanche en famille. Elle était presque contente de se revoir en train de rouler sur la belle esplanade bordant la baie de Luanda. Tout en faisant attention à ne pas sortir du tapis de Bitume noir, elle posait un œil de phare attentif sur la route et un autre curieux sur la mer.
        Que c’est beau la mer, se dit elle !  
         Papa, était en train de sortir de sa léthargie, il avait du mal à se convaincre qu'il avait bien abordé le quai de débarquement du port de Luanda. Mais nous sommes en Angola, mon N’Gola ! Se dit-il.
 C’est que papa, avait à moitié la tête ailleurs , encore un peu dans  le passé. Il projetait fixement son regard sur le lointain de la route et essayait d’y trouver le nouveau chemin de sa vie. Pas uniquement de sa vie, mais de leur vie à eux trois.
-Qu’est-ce que ce pays va nous réserver ? Papa s'interrogeait en silence.
 Le départ du village avait  été si précipité.  Le curé  et les autres l’avaient mis dans la rue comme un voleur, comme un mal propre. Ils l’avaient exilé comme un traître, comme un salaud,  pas uniquement lui et sa femme, mais aussi le bébé. Le bébé si petit, d’une semaine à peine ! Pauvre créature. Comment Dieu ? Comment Monsieur le curé, Son représentant au village ? Comment avaient-ils pu tous, faire cela !  Ma femme, mon bébé, moi qu'avons-nous fait de mal ? Était-ce condamnable de s'être aimé passionnément, d’avoir donné la vie, d'avoir conçu  un enfant, juste trois mois  avant le mariage ? Quelle morale digne de ce nom, quel régime de sagesse peut-il condamner la vie ?.
-            Pourquoi ? Que faire ? ô ma pauvre nation !
 Dans ce village, dans ce pays,
ils décident, ils dirigent, ils imposent.
Se taire, se taire, car eux seuls ont raison. Je vais te faire un  aveu Papy, je crois que dès leur arrivée en Angola
mes parents sont tombés amoureux du plus beau des arbres



Le Flamboyant
Après le virage à gauche la route s’écartait  maintenant de la côte et s’enfonçait vers l’est plus à l'intérieur des terres. La jeep prit de la vitesse, tout en essayant de s’écarter des nids de poules, qui étaient de plus en plus nombreux. Tout d’un coup papa aperçut un magnifique arbre tout couvert de fleurs rouges.
 -  C’est quoi ce bel arbre ? Dit papa avec curiosité et admiration. Mais aussitôt maman  renchérit :
- Il n’est pas seulement beau, il est magnifique... suite au prochain chapître.