Arrivée à Luanda
Là-haut, dans le ciel bleu de Luanda, le
soleil du mois août déchirait les chiffons de nuages blancs. A droite
s’étendait le tapis vert des pelouses piétinées par quelques maisons coloniales
hautaines et méprisantes. A gauche s’étendait sans fin « le
Musseque », la favela angolaise. Des cases carrées misérables au toit de
zinc se dressaient dans le rouge de la terre à l’odeur de sang. Dans
la baie de Luanda ,un vent capricieux sortait les cocotiers de la
plage de leur somnolence et hérissait la
crêtes des vagues de moutons blancs. Une vaste esplanade, que le Gouverneur
colonial avait fait construire très rapidement, (certains disait à la va vite),
suivait la mer pendant quelques kilomètres . Sa forme en fer à cheval élargi ,la faisait ressembler à un boa
prenant le soleil. Grâce à ce genre de démonstration, personne
ne pouvait plus douter qu'en Angola
la modernité et le progrès étaient en marche, par rapport à d’autres
contrées d ’Afrique, où la misère et le désordre ne pouvait être qu'affligeants.
Grâce à dieu et à Satanlazar, dans ce pays, cette terre lusitanienne, depuis
cinq siècles, il y avait la paix mais aussi l’ordre, l’autorité et la sécurité.
Ailleurs, ils pouvaient continuer à crier des mensonges, mais l’Angola, dieu
soit loué, dans le respect, suivait le bon chemin. Il ne pouvait en avoir
qu’un, le leur. Exactement au centre de l’esplanade construite en granit provenant de la carrière des Lajes de
Roustina, se dressait dans une posture
héroïque et froide la statue de Diogo Cão. Dans la main gauche, il
tenait une épée et de sa main droite, il
soutenait une sphère armillaire couronnée par la croix de l'Ordre du Christ. Son
regard semblait figé pour l'éternité dans le lointain. A ses
pieds, un petit jardinet fleuri de becs de perroquet tentait d’apporter un peu de gaieté et un
grillage en fer forgé peint récemment en noir brillait dans un éclat soleil et complétait cet ensemble vraiment
très austère . Dans la partie inférieure du monument l’on pouvait lire,
écrites
en lettres dorées : En l’année de grâce de 1482 Diogo Cão découvrit le
fleuve Zaïre et le Royaume du Congo.
Cela faisait donc plus
de cinq siècles que la culture et la
civilisation Lusitanienne en Afrique imposait sa glorieuse présence !
Mais ce qui attirait l’attention du passant,
c’était un haut mât blanc, planté énergiquement au sol. Il perçait le ciel comme
une lance où flottait fièrement dans le ciel azuré déchiré de nuages,
un drapeau portugais hautain et démesuré. Son pouvoir d'attraction était-tel qu'il
dominait tout l’ensemble.
Ainsi,
légitimé par la volonté de Dieu, par le courage d'hommes illustres au passé glorieux, le Portugal commande
et ordonne.
Comment imaginer, l’inimaginable. Il ne manquerait
plus que d’autres envisagent de gouverner
ce qui est nôtre. Où a-t-on vu un pays africain prospère dirigé par des
africains ? Couper la canne, cueillir les grains de café, ramasser le
coton, couper le sisal, ça oui. Chacun à sa place et dieu à la sienne. Mais
Dieu sait ce qu’il fait…
-
Comment lecteur , tu sembles interloqué, même révolté par de tels propos. Tu te dis : quel dieu d’amour et
créateur de tous les hommes pourrait-il différencier et sous-estimer ainsi
une partie de ses enfants !
Et
bien, figure toi que ta question ne
nous intéresse pas… Nous les portugais avons été chargés par le Très-Haut, le
Tout Puissant de l’univers, du ciel et de la terre d’une magnanime mission,
celle de faire découvrir le monde au monde avec nos caravelles. Mais
ce n'était pas un but unique,sa volonté suprême était que nous y
propagions Sa foi, le gouvernions en Son nom et selon Ses propres lois.
Alors,
pas question que des mouvements indépendantistes ne viennent
troubler l’ordre établi. Que nous devions composer avec ces
bandits de terroristes, de pitoyables assassins, à la solde de ces matérialistes communistes. Si nous les laissons faire, ces
mécréants vont jeter ce pays et le monde tout entier dans des eaux croupies. Dans des terres du diable que polluent des grands
diables cornus et poilus à la queue fourchue. Des rats d’égouts de Moscou, ces satanés
bolcheviks.
Après
tout, Moscou ….Moscou, pourquoi
toujours parler de Moscou, vous savez bien que leur saloperie de
révolution, ne vaut pas un clou de la sainte croix de mon seigneur Jésus
Christ. Un être humain, une vie, un pays
sans dieu finira dans le feu. Le
feu éternel, m’entendez-vous athées du
diable et faiseurs du mal en cette terre d’Angola.
–
L’Angola est nôtre ! « Angola é
nossa ! Angola é nossa ! *»
Tu
vois Papy, l'arrivée de mes parents en Angola ne se faisait pas
dans un climat aussi apaisé qu'ils auraient pu
le souhaiter, des mouvements raciaux et des idées d'indépendance créaient de réelles
tensions qu'un œil averti aurait pu certainement discerner.
Mais
mes parents y croyaient, cependant, quelle ne fût pas leur stupeur quant-ils
rencontrèrent :
images du fascisme au Portugal et en Espagne années 50
Le
pingouin tropical
-
Mais qui est donc cet étrange pingouin tropical en train de jaboter ?
Papa plus qu’interloqué, sortit la tête par la fenêtre de la jeep.
Maman interrogea du regard son mari et le
chauffeur sans comprendre. Son regard plongea
à
l'extérieur de la voiture , et découvrit un petit bonhomme presque
écrasé au sol. Il avait un costume noir usé et trop grand pour ce rachitique
tronc d’arbre sec qu’il était. Il portait une chemise blanche, râpée et
souillée par une odeur forte et malodorante de
transpiration . L’ensemble lui donnait l’allure maladroite d’un nouveau
manchot atterri par erreur sous les tropiques ! D’une façon pataude, il
essayait de soulever sa petitesse sur la pointe de ses bottes, tout en faisant
le salut fasciste à la statue sereine de Diogo Cão qui resta de granit et
très indifférente à ses couinements et jabotements de pingouin:
-
L’Angola est à nous ! L’Angola est à
nous !... hurlait-il !
-
Ce n’est rien, dit Armando le chauffeur.
C’est un vieil ultra, un certain Pashteka, ancien directeur de la Jeunesse
Portugaise de Guardangal. Il
est arrivé en Angola, il y a une année environ, pour civiliser cette Afrique arriérée et la
peupler de sang blanc! Ce sont ses
dires. Des restes de propagande Satanlazariste. Des stupidités, mon cher Claudio!
Que peut-il peupler cet arbre sec et épineux sans fruit. C’est un vieux garçon
comme notre chef de Lisbonne. Peut-être même un… Peu importe ce qu’il est. Il y
a de la place pour tout le monde. Par contre il ne peut pas y avoir de place pour
de telles idées, cela mèneraient ce pays au désastre. Avec la victoire en 45
nous pensions que c’était leur fin. Mais ici, ces idées, prospèrent encore. La deuxième guerre Mondiale de 1939 à 1945 n’a
pas fini son travail ni en Espagne ni au Portugal mon cher Claudio. Pour le
moment il vaut mieux la fermer sinon…
Visiblement agacé par toutes les immondices
sur l’Angola qui sortaient de la bouche du vieux pingouin tropical,
Armando grinça des dents et respira fort
comme si l’air lui manquait :
-
Le
soleil tropical lui a séché la jugeote à ce C… Quant à la civilisation de progrès dont il parle, elle peut attendre
500 ans de plus. Puis se tournant vers Claudio et Virginia, Armando leur dit à
voix basse.
-
L’on raconte dans l’élite pure et dure des
blancs de Luanda que la vérité serait
toute autre. Ce fou, aux idées sales d’un autre temps, aurait été écarté par le
pouvoir de Lisbonne de son poste de directeur de la Jeunesse Portugaise, suite
à des bourdes répétitives. C’est que
l’União Nacional, création de notre chef, souhaitait donner une image, seulement
une image Claudio, plus conforme aux
nouveaux temps. Alors, ils se sont débarrassé de ce pingouin, en l’exilant vers
l’Afrique. Bien sûr, cela lui a été proposé comme une
promotion.
Papa
avait effectivement reconnu au premier regard l’ancien Docteur
Pashteka, c’est-à-dire l’exalté Chef et Directeur Général de la Jeunesse
Portugaise dont le devoir était de distiller la propagande salazariste auprès
des jeunes de plus de dix ans dans les
établissements scolaires du district de
Guardangal. En l’écoutant
haranguer les élèves de 6ème le jour de la rentrée scolaire au
lycée, les jambes de papa se mirent à trembler comme les brins
d’herbe dans la prairie de son village les jours du vent de Nordest. Le soir
même, il écrivit une lettre affolée à son père pour lui dire, qu’il préférait
être berger de chèvres et de moutons à Roustina, qu’étudiant au Lycée National
de Guardangal ! Le traumatisme fut
tel qu’à la fin des vacances de Noël, le jour de son départ pour rejoindre
le lycée, papa eu une colique qui dura trois jours. Cela
détermina l'avenir de mon père, finalement son retour aux études
n’eut jamais lieu et il devint berger.
Un berger qui pendant la journée jouait de la flûte à ses moutons et le soir
gribouillait des bucoliques. Pendant
quelques mois, durant la nuit, ses sommeils furent très agités. C’est
que les discours du docteur Pashteka venaient perturber son sommeil. L’enfant
de douze ans était effrayé par le visage rouge d’ivrogne de Pateshka. Parfois
papa se réveillait la nuit en plein cauchemar, sa chemise de lin blanc était
trempée par un fleuve de sueur. Il voyait gesticuler une petite
silhouette aux bras courts et menaçants, qui vociférait du haut de son estrade en
proclamant que le Portugal était en guerre en Afrique, que le pays
avait besoin de tous ses patriotes, pour le défendre des terroristes, des
nègres, des ennemis. Mais la guerre épouvantait papa. Il préférait jouer avec
ses moutons à la laine si douce. Il aimait taquiner les chèvres qui
parfois se cabraient contre lui en lui montrant des cornes menaçantes. Dans
ces moments-là, papa, se mettait à les craindre et cela lui
donnait la chère de poule. Alors, muni de son bâton de cognassier
en forme de crosse d’évêque, il cognait par terre. La chèvre
rentrait dans le rang et papa se sentait fier d’être berger. Cependant, bien
plus tard papa ne put s’empêcher de regretter en partie ce choix. Son fils ne
serait pas berger. !!!
Tu sais Papy, le souvenir de cet homme est
resté pour mon père un vrai traumatisme
C'est impossible se dit en lui-même papa. Moi qui ai fui ce monstre
quant j’étais enfant, je le retrouve ici maintenant alors que je suis adulte.
Serait
ce de mauvaise augure ?
Papa semblait très perturbé. Tout d’un coup
il se laissa gagner par de la superstition. Non, ce ne pouvait pas être le
Pateshka d’autrefois. Non, je refuse d’y croire, se dit en lui-même mon
père. Ce petit tas de merde qu’il avait là, devant les yeux était bien plus petit que celui qu'il avait
vu avec
ses yeux d’enfant. Dix-sept ans s’étaient passés depuis cet événement
traumatisant. Il détestait ce croûton de
vieux fasciste, il le haïssait même. S’il n'avait pas été accompagné par son ami Armando, sa femme bien aimée,
Virginie et son bébé , il l’aurait envoyé en enfer, ce contrefait et l’aurait
fait damner par tous les diables. Il détestait ce microbe, ce parasite, ce
bourreau qui avait traumatisée pendant des années des générations d’enfants et
d’adolescents. Pourra-t-on pardonner un jour à ce type de crapules, se
demanda papa dubitatif. Pendant des années et des années
de 1933 à 1974 ces salauds ont lavé le cerveau à des milliers de jeunes pour
ensuite les polluer avec des idées fascistes et les contaminer en plus avec les
microbes satanlazaristes. Combien
d’années faudra-t-il , pour que dans une société future , soit complétement endigué le
virus du fascisme. Combien d’années pour créer des êtres humains respectueux
des autres sous la lumière humaine de la démocratie ?
Peut-être faudra-t-il pardonner, pour ne pas
continuer à alimenter la haine. Oui, pardonner à ces crapules sans cœur, c’est
les faire douter de leurs certitudes, leur montrer qu’il y a d’autres chemins.
Leur montrer que l’homme n’est pas un, mais multiple dans la richesse de la
diversité. Oui, leur montrer qu’il y a de la place pour tous dans ce pays, dans
cette Europe et dans le Monde.
– Non, Messieurs Salazar, Franco, Hitler,
Pétain, Staline etc… d’hier et d’aujourd’hui encore. Non ! Le chef n’a pas
toujours raison ! Criait en silence papa.
De plus, la vengeance ne ferait que placer
les victimes d’aujourd’hui au même niveau que les tortionnaires d’hier.
Cependant, le jour où la démocratie sortira du brouillard, car la
brume finira bien par se lever, la justice devra être faite pour tous
ces jeunes, et tous ces êtres humains qui ont été traumatisés, dans
leur tête, dans leur cœur, et parfois dans leur corps. . Ces
salauds devront répondre de leurs actes.
-Mais Claudio tu parles tout seul, lui
demanda maman.
- Non Virginia, mais qu’est-ce que tu
dis-là, mentit papa quelque peu énervé.
- Pardon, mon chéri. Je croyais. Dit maman
avec un sourire ironique.
- C’est rien Claudio, lui dit Armando qui soudain eu des craintes que le passé
troublé de de son ami ne revienne à la
surface.Ne fais pas comme la huppe,ne gratte pas la vieille merde de ces bouses de vache. Il
faut regarder devant soi,
–
Partons, partons, redémarre la voiture
Armando, dit mon père comme s’il avait encore peur du pingouin tropical.
–
***
- Tu sais Papy, je crois
bien que Papa avait vraiment très mal
vécu le fait d'avoir croisé lors de son arrivée en Angola le chemin du pingouin
tropical. Il décida que pour le moment, le mieux pour lui était de s’enfuir au fond de sa caverne
Refuge dans sa caverne
Papa se recroquevilla contre la porte de
la jeep. S’il pouvait au moins échapper au regard de ses compagnons de voyage. Son
envie immédiate serait de se cacher au fond d’une caverne. S'étaient-ils rendu
compte de quelque chose. Peut-être pas, mieux valait faire semblant de
rien, ne pas en rajouter.
-J’ai un coup de barre. Je crois que je
vais m’assoupir quelques minutes, dit papa en se réfugiant dans la
fuite.
-Mais oui, mon chéri, pique un petit
somme ! Lui dit maman qui le regardait attendri, elle l'aimait tant son
Claudio. Elle adorait quant il la prenait dans ses bras, quant il lui déposait
des baisers tendres sur les lèvres, quant il lui murmurait à l'oreille des mots
d'amour.
Oui, mon chéri, dors,
pensait-elle, je veille sur toi !
Armando se mit à rire
pour détendre l’atmosphère. C'est
peut
être l’effet de la chaleur. A moins que ce ne soit le décalage horaire.
Ah, non,
j’ai compris, je crois que tu as été piqué par la mouche tsé-tsé,
–
Mais
papa dormait déjà à poings fermés comme le paresseux accroché à une branche.
Papy, je crois que tu as bien connu ma
mère Virginia, je crois qu'elle était très bonne élève. Est-ce que tu as une
idée de ce qu'était le Cours de géographie à l’époque de maman
Papa était profondément
assoupi, Maman, par contre, regardait à travers la lunette arrière de la
jeep. Elle voyait disparaître de plus en plus loin la silhouette du pingouin. Son
crâne couleur de cire luisait. Ce n’était plus qu’un point au milieu
d’une tache noire. Elle se demandait un peu angoissée quelles
autres étranges surprises ils allaient trouver dans cet Angola qu’ils
ne connaissaient que par le cours de géographie de Cm1. Tant d’années
étaient passées depuis cette époque, mais des mots, des phrases des cours
raisonnaient encore dans ses oreilles:
La capitale de l’Angola est Luanda. Sa
superficie est de 1 200 000 km2. Cette province ultramarine est
quatorze fois plus grande que le Portugal.
-Mais comment est-il possible qu’une
province soit plus grande que notre Portugal
s’était demandé maman, qui
était la 1ère de la classe. Elle fixa le maître du regard en
entendant cela, mais il était hors de question de mettre en cause son savoir et
encore moins de l’interrompre.
Il poursuit son exposé
en disant :
C’est la plus riche de nos provinces
d’outre-mer. Elle produit du pétrole, des diamants du café, de la canne à sucre
du…
-
Aha ! aha ! la plus riche… Maman
avait,
le pensait-elle, bien compris. Mais, elle se répétait en elle-même à mesure qu’elle
assimilait l'enseignement, que le maître parlait bien d'une province
portugaise, mais où a-t-on déjà vu une province quatorze fois plus grande qu’un
pays ou une nation. Non ! Non ! pas possible. Je suis sûre que c’est de
la propagande officielle que l'on nous sert à l’école. Des petits
cœurs de mensonges pour les enfants, qu’ils nous font passer pour des
vérités. Non ! Non ! Je
comprends maintenant. La vérité, c’est que le Portugal occupe ce pays lointain
pour ses richesses.
Maintenant
maman n’était plus une enfant. Elle n’était plus à l’école de Roustina. Ce qui était incontestablement vrai, c’est qu’en ce samedi du mois d’aout de 1953,
elle était en Angola, avec son Claudio, Armando
son ami de toujours, et son enfant de quelques mois dans son giron.
Elle n’était pas triste, elle n’était pas gaie non plus. Maman se demandait
avec une interrogation sans réponse de quoi serait fait demain. C'est ce que j'ai
appris plus tard de la bouche de ma mère, mais elle ne m'a pas tout dit ou
compris.
Papy, tu sais je crois aussi que dans la
voiture conduite par Armando, il y a avait dans la pensée de chacun, la même
interrogation :
De quoi sera fait demain ?
Vingt-cinq ans s’étaient écoulés. L’Angola
du cours d’histoire de maman et papa était déjà bien loin, très loin !
Maintenant maman était en train de rouler en jeep avec deux hommes : ses
anciens camarades de l’école primaire de Roustina. Armando était devenu propriétaire
d’une plantation moyenne de canne à sucre, mais aussi de tabac et de coton, sans
oublier des petites terres produisant du café. Claudio, était
devenu son mari et moi le fruit des entrailles de maman je comptais à peine
comme passager! Tout le monde a trouvé sa place dans la jeep qui
est devenue rougeâtre à cause de la poussière. Armando qui
conduit sans trop de secousses, insinue que
sa jeep est docile et en même temps caractérielle comme un âne. Il prétend même
qu'elle n’a nullement besoin d’être
conduite tellement elle connaît par cœur le moindre nid de poule de la route
entre Luanda et Nova Lisboa. Papa dont la chemise blanche fait
ressortir le rouge d’écrevisse de son
visage semble vouloir séduire une seconde fois maman.
- Je retrouve mon beau Claudio, le
séducteur, celui qui voulait plaire à la maîtresse d’école autant
qu’aux filles de la classe, dit Armando content et heureux de retrouver son
ami d’enfance.
Mais papa
ne réagit pas trop à la plaisanterie de son ami.Calé au fond du siège du
copilote, et droit dans sa cuirasse, il était prêt à faire face aux cahotements
d’antilope de la jeep. Par la pensée, il se sentait prêt à
parer à tous les coups que leur préparait leur
vie africaine.
Maman disposait de tout l’espace de la place
arrière de la voiture. Elle était toute occupée par ce que je représentais déjà
pour elle. Elle était, confiante, de toute façon sa vie en Angola ne
pouvait pas être pire qu’au Portugal.
La jeep ne s’occupait de personne tout en
veillant sur tout le monde.
-Je
vais leur montrer à tous et en particulier au petit bonhomme, dont elle enviait
la jeunesse et l’avenir, que je ne suis pas encore un tas de ferraille comme le
prétend mon nouveau patron.
La jeep roulait sereine, presque heureuse,
comme lors des promenades du dimanche en famille. Elle était presque contente
de se revoir en train de rouler sur la belle esplanade bordant la baie de
Luanda. Tout en faisant attention à ne pas sortir du tapis de Bitume noir, elle
posait
un œil de phare attentif sur la route et un autre curieux sur la mer.
–
Que c’est beau la mer, se dit elle !
–
Papa, était en train de
sortir de sa léthargie, il avait du mal à se convaincre qu'il avait bien abordé le quai de débarquement du port de Luanda.
Mais nous sommes en Angola, mon N’Gola ! Se dit-il.
C’est que papa, avait à moitié la tête
ailleurs , encore un peu dans le
passé. Il projetait fixement son regard sur le lointain de la route et
essayait d’y trouver le nouveau chemin de sa vie. Pas
uniquement de sa vie, mais de leur vie à eux trois.
-Qu’est-ce que ce pays va nous
réserver ? Papa s'interrogeait en silence.
Le
départ du village avait été si
précipité. Le curé et les autres l’avaient mis dans la rue comme
un voleur, comme un mal propre. Ils l’avaient exilé comme un traître, comme un
salaud, pas uniquement lui et sa femme,
mais aussi le bébé. Le bébé si petit, d’une semaine à
peine ! Pauvre créature. Comment Dieu ? Comment Monsieur le curé, Son
représentant au village ? Comment avaient-ils pu tous, faire
cela ! Ma femme, mon bébé, moi
qu'avons-nous fait de mal ? Était-ce condamnable de s'être aimé passionnément,
d’avoir donné la vie, d'avoir conçu un enfant, juste trois mois avant le mariage ? Quelle morale digne
de ce nom, quel régime de sagesse peut-il condamner la vie ?.
-
Pourquoi ? Que faire ? ô ma pauvre
nation !
Dans ce village, dans ce pays,
ils
décident, ils dirigent, ils imposent.
Se
taire, se taire, car eux seuls ont raison. Je vais te faire un aveu Papy, je crois que dès leur arrivée en
Angola
mes parents sont tombés
amoureux du plus beau des arbres
Le Flamboyant
Après le virage à gauche la route
s’écartait maintenant de la côte et
s’enfonçait vers l’est plus à l'intérieur des terres. La
jeep prit de la vitesse, tout en essayant de s’écarter des nids de poules, qui
étaient de plus en plus nombreux. Tout d’un coup papa aperçut un
magnifique arbre tout couvert de fleurs rouges.
- C’est
quoi ce bel arbre ? Dit papa avec curiosité et admiration. Mais aussitôt
maman renchérit :
- Il n’est
pas seulement beau, il est magnifique... suite au prochain chapître.
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