Une
bagnole en révolte
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Le plateau de Nova Lisboa pourrait bien s’appeler
la région la plus transparente. Le ciel était d’un azur à enivrer de passion les
yeux les plus vides de sentiments. Çà et là, des nuages blancs rêvant
d’aventures amoureuses, se déplaçaient mollement en somnolent. De sa hauteur majestueuse, le roi soleil
tropical déployait ses ardeurs. Il s’agrippait avec force à cette grande assiette creuse à l’envers faite de terre rougeâtre, qui
s’étendait maintenant à perte de vue. Tout ça, c’est le plateau de Nova Lisboa.
Sur les hauteurs irrégulières du plateau, le
moteur vieillissant de la jeep respira avec satisfaction un air plus frais et
limpide. Maintenant, l’on avait l’impression que la jeep reconnaissait
son chemin les yeux fermés.
Elle se disait à elle-même que c'était agréable de revenir au pays, de
se retrouver chez soi, de revoir sa maison de Nova Lisboa. Même en étant plus
jeune, elle n’avait jamais été folle de la côte touristique au sud de Luanda.
Celle-ci
allait jusqu’à Moçamedes où soufflent des
vents chauds et secs qui contrastent complètement avec la froideur des
eaux du courant de Benguela.
Ses
quatre roues sur un macadam de misère ou, les pieds dans l’eau glacée, c’était
tout simplement l’enfer. Avec cette chaleur du diable, dans cette zone dite
touristique par les blancs, son sang jaune-or visqueux tourbillonnait à
l’intérieur de sa culasse. Il risquait même de tourner au noir et devenir un
liquide rêche et acide. Elle avait beau chercher l’air avec son système de
refroidissant qui tournait désespérément à fond, ses poumons s’essoufflaient.
Le joint de culasse menaçait de casser. Elle n’en pouvait plus.
Cette
température, était peut-être agréable pour ces colons, au visage de craie,
venant du froid des montagnes du nord du Portugal. Oui se dit la pauvre, cette
chaleur-là ne pouvait être agréable qu’à ces Tugas. C’est que depuis cinq
siècles en Angola, ils ne foutaient rien. Rien pour mon Angola. Par contre, ces
parasites, faisaient travailler les angolais comme des esclaves et ils en
faisaient même venir des îles de Saint Tomé et Principe.
-
Mais pourquoi vivent-ils dans des palais
et alors que les africains habitaient dans
des baraquements ?
Elle se posait des questions. Beaucoup de
questions, mais en réalité, elle ne savait rien.
Elle ignorait
même ce que c’était le froid. Elle avait entendu dire qu'elle avait été fabriquée,
parait-il, dans la banlieue parisienne, par des mains calleuses aux accents étrangers.
Il parait qu’en hiver Paris était glacial. Mais elle ne s’en rappelait pas du
tout. Est-ce que la mémoire commençait à lui faire défaut avec l’âge ?
Ce dont elle se rappelait c’est qu’elle
était arrivée après un mois de bateau au port de Lobito.
Perdue, elle le fût par tant de
changement, mais ensuite elle s’habitua à tout. Elle n’avait pas eu le choix. Après,
pendant sa longue vie, elle, la bagnole, n’avait fait que des kilomètres, sous
la chaleur humide, toujours chargée comme une bourrique sur des routes où même
le diable n’aurait pas voulu rouler.
Une
vie de merde, une vie d’esclave, sans jamais pouvoir décider, faire des
projets, des choix. Une vie faite de dire oui Monsieur, oui Madame et amen à
toutes leurs volontés et caprices. Jamais elle n’avait pu se réaliser selon sa
volonté. Toujours obéir.
Néanmoins, il n’y avait en elle, ni haine, ni
rancœur. Ce n’est pas bon d’avoir de mauvaises pensées, bien que parfois,
elle eut une envie folle de foncer contre un platane et de tout casser. Mais le
dieu africain soit loué, cela n’arriva jamais. Elle gardait toujours de
l’espoir, pour demain. Demain les choses changeront. Changeront,
peut-être ! Elle ne savait pas.
Maintenant, elle était vieille, elle
aurait mérité une retraite
tranquille, pas une retraite de misère ne permettant pas à une personne de
vieillir dignement, non, mais, elle ne se plaignait jamais. Il y
avait encore en elle un élan d’énergie, venant de son cœur de fer, une envie de
rendre encore service à son patron. Un
patron ou un colon, ou quelque chose de semblable. Elle n’était pas allée à l’école
comme les blancs et certains mots étaient des chinoiseries pour elle. De plus, elle
n’entendait plus très bien.
Non son patron, Armando, ne pouvait pas
être un colon. Elle savait quand même que le colon était méchant mauvais avec
les africains. Non Monsieur Armando était une bonne personne et tellement il différente
des autres crapules.
Mais ce n'était pas le cas de sa
garce de femme qui se faisait appeler
Dona Dulce. Que dieu d’Afrique veuille la pardonner, mais cette crétine, elle
la détestait.
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