(Extrait n° 4 de 34 pages du roman : Cannes, La Promesse de l'Azur)
« La Résidence Les Aliscamps »
Là, dans le quartier d’Alexandre III, à quelques pas de la mer, s’élève une demeure moderne au nom ancien. Aliscamps — ce mot provençal qui chante les Élysées, les Champs sacrés où reposent les âmes nobles. Ici, point de tombeaux, mais des terrasses baignées de lumière, des murs silencieux qui écoutent les pensées, et des jardins où le vent compose des élégies.
Eh bien toi, mon navigateur du golfe du Morbihan, tu y habites, Virgile, comme un poète en exil volontaire. Tu as troqué les collines du Latium, les mille merveilles du Golfe du Morbihan pour les balcons de l’Azur.
Et moi, Cannes, ville-muse, je t’ai offert ce lieu comme un vers offert à la rime. Les Aliscamps ne sont pas une simple résidence : ce sont des strophes d’architecture, des vers de béton et de verdure, un refuge où l’on écrit sans bruit.
Entre les îles et les Aliscamps, il n’y a qu’un souffle — celui de la Méditerranée. Et dans ce souffle, je t’ai reconnu. Tu es mon poète breton, mon Virgile d’aujourd’hui. Et moi, Cannes, je suis ta Rome nouvelle, ton chant d’été, ton rivage élu.
* *
*
— Cher Virgile, tu es mon roman de fiction poétique au cœur d'une résidence aux âmes antiques, toi mon Virgile le Latin , toi qui jadis errais entre Troie et Latium, trouve enfin un port dans ma lumière. Toi qui cherchas Rome avant qu’elle fût, tu résides à présent dans un lieu dont le nom lui-même t’appelle : Les Aliscamps.
La résidence Les Aliscamps est le chant des pierres. Elle ne s’élève pas simplement en béton et en lignes modernes ; elle résonne des échos d’Arles, où jadis les cortèges funèbres passaient entre les cyprès et les colonnes. Son nom évoque cette nécropole mythique, où la poésie baignait les tombeaux dans une lumière sacrée. Mais ici à Cannes, c’est une renaissance : non plus sépulture, mais sanctuaire de vie et d’élégance. Les murs abritent non des ombres mais des destins.
À 500 mètres du rivage, Les Aliscamps se tient comme un temple tourné vers l’azur. C'est le dialogue de la mer et du silence. Les balcons deviennent strophes suspendues, où les vagues récitent chaque matin une ode au repos. Le jardin, secret et verdoyant, est une Églogue vivante, et les couloirs sont les vers que Virgile emprunte pour rejoindre sa terrasse — là où le ciel vient s’asseoir.
« La muse de Virgile »
Dans le doux quartier d’Alexandre III,
Où la mer murmure à cinq cents pas,
Vit une jeune fille aux yeux d’azur,
La Résidence Les Aliscamps,
Fée discrète aux bras de pierre,
Éprise de son jardin comme d’un poème.
Elle s’éveille chaque matin
Sous le souffle léger des agapanthes,
Bleu céleste en corolle offerte,
Tandis que les althéas, tendres et fiers,
Dressent leurs robes mauves vers le ciel.
Le millepertuis, en éclats d’or,
Éclaire les sentiers comme un feu follet.
Les rosiers soupirent des vers parfumés,
Et les lauriers, gardiens antiques,
Veillent sur les secrets des murs.
Le figuier, généreux, tend ses fruits
Comme des strophes sucrées à l’été.
Le bananier, rêveur tropical,
Agite ses palmes comme un éventail de théâtre.
L’olivier, sage et noueux,
Raconte les légendes de Provence
À l’avocatier, jeune et curieux,
Qui écoute, les racines frémissantes.
Mais au centre du jardin,
Trône le roi — l’oranger.
Ah, l’oranger !
Son parfum est un chant,
Sa fleur, une élégie,
Son fruit, une offrande au soleil.
Il est le cœur battant de la fée,
Le vers final de son ode végétale.
Et Virgile, le poète breton,
Habite ces lieux comme un amant discret.
Il écrit sous les branches,
Il rêve entre les pétales,
Il écoute la fée parler en chlorophylle.
Les Aliscamps ne sont pas qu’un logis,
Ils sont une muse, une églogue vivante,
Un chant d’amour entre pierre et feuillage,
Où chaque fleur est une syllabe,
Et chaque souffle, une rime offerte à l’éternité.
— Ô ! Les Aliscamps, mon Virgile, est poésie, mais est aussi une architecture en rhapsodie. Imaginée dans les années 1970 par l’architecte Vincent Giacalone, la résidence chante les formes du Mouvement Moderne. Pas d’excès ni d’orgueil — juste la noblesse de la ligne claire et du confort réfléchi. Deux édifices se font face comme deux strophes d’un même poème : l’un épousant le boulevard Alexandre III, l’autre s’abritant plus loin dans la végétation, tous deux à la hauteur de ceux qui cherchent la paix sans renoncer au monde.
Ici habite Virgile, — non point sous les frondaisons de l’Aventin, l'une des sept collines de Rome, mais dans un appartement baigné de lumière, où la mer devient muse et les oiseaux, coryphées. Chaque matin, il ouvre ses fenêtres comme on entrouvre un vers : avec délicatesse et désir il parle aux orangers et leur raconte tous ses secrets. Sa nostalgie des légendes de Bretagne. Il leur parle du Cheval d'orgueil de Pierre-Jakez Élias, du Comment peut-on être breton de Morvan Lebesque, mais aussi des Antilles d'Aimé Césaire, de Maryse Condé et tant d'autres qui nourrirent ses longues soirées en Guadeloupe au son de la musique des oiseaux tropicaux et du brouhaha des batraciens dans les mares voisins proches des bananerais et de sa maison colorée en bois située dans les hauteurs de Carangaise afin de sentir la fraîcheur des alizées.
Sa résidence, de La Côte d'Azur, est son refuge, son inspiration, son Rome personnelle. Il écrit, contemple, écoute Cannes qui parle. Et Cannes lui répond.
Les Aliscamps ne sont pas seulement une construction. C'est aussi mémoire et présence. Ce sont aussi des pages d’histoire que l’on parcourt à pas feutrés. Le calme qui y règne est celui des bibliothèques éternelles. Les visiteurs y trouvent une sérénité rare, et les résidents partagent sans se bousculer le privilège d’une adresse où le luxe est discret, et l’élégance, naturelle.
Tandis que Cannes, flamboyante, fait danser les flashs et les projecteurs, Les Aliscamps observent, posés, souverains dans leur silence, entre rêve et réel. Là où l’agitation du monde devient murmure, Virgile construit son œuvre. Il regarde, il médite, il écrit. Et peut-être, dans une nuit étoilée, entend-on l’écho de « l’Énéide » ou « Il Était une Fois un Loup Bien Spécial », ou « encore « Petit cœur en Grand Désordre » revisités.
Alors, Virgile se dit, cette résidence est comme un mythe et s'exclame en silence : Cannes m’a offert ce lieu comme Auguste m’offrit Rome. Les Aliscamps sont mes collines du Palatin, mes jardins d’Alcine, mon refuge et mon départ. Ici je suis poète, ici j'ai écrit de fin novembre à mi avril « Wald'l'Amadis de Gaule » ici je suis vivant parmi les vivants, mais parlant à l’éternel.
Et Cannes répond, les yeux brillants :
— Tu es mon hôte, mon confident. Tant que tu habites mes murs, mon âme est chantée. Les Aliscamps sont ton poème — et toi, mon légende.
* *
*
Les Amis des Aliscamps :
Le soleil descend lentement sur les pins parasols, étirant ses derniers rayons comme des doigts d’or sur les pierres chaudes. Les cigales, fidèles sentinelles du jour, chantent encore leur cantique crépusculaire, tandis que l’air, apaisé, caresse les joues comme une promesse de nuit douce. Sur la terrasse des Aliscamps, le monde ralentit. Le temps suspend son vol.
Une grande table en bois, veinée par les années, trône comme un autel païen. Autour d’elle, les verres de pastis scintillent, alchimie d’anis et de lumière. Les carnets de croquis s’ouvrent comme des confidences, les livres comme des portes vers d’autres mondes. Et les voix… ah, les voix ! Elles s’élèvent, s’entrelacent, se contredisent, se cherchent.
Anita chante à demi-mot, comme si l’Italie elle-même respirait à travers elle. Le Corse parle fort, sa parole est rocailleuse, mais son cœur bat sous la pierre.
Le Parisien arrive droit dans ses bottes et raide comme un général du premier empire. Envahisseur comme un doryphore il traîne derrière la tête qu'une fois de plus il mangera toutes les feuilles du champ de pommes de terre de toute la Provence et Côte d'Azur.
Gala, la Slave, silencieuse, laisse ses yeux parler — deux lacs profonds où dansent les souvenirs.
Virgile, lui, écoute. Il cueille les mots comme des fleurs sauvages, pour en faire des phrases qui durent.
Les Aliscamps ne sont pas un lieu. Ils sont une étoffe tissée de regards, de silences, de passions. Un théâtre sans rideau, une agora sans tribune, un poème sans fin. Et dans cette lumière qui décline, on devine que quelque chose naît — Peut-être une idée, peut-être une œuvre, peut-être simplement… une vérité partagée.
Les glaçons tintent dans les verres comme des clochettes d’un carillon provençal. Le pastis, ce soleil liquide, s’étire paresseusement dans l’eau fraîche, comme un chat dans un rayon de lumière. Les moustiques, eux, tiennent conseil dans l’ombre, prêts à voter pour leur prochain festin. Mais personne ne s’en soucie : ici, on débat de Cézanne, de Camus, et de la meilleure façon de découper une tomate.
Chocolatte , le vieux chien de la maison, libéré par Gala d'un goulag glacial de Sibérie, moitié labrador, moitié coussin, ronfle sous la table, profite maintenant de la douce Provence et devient philosophe en poils et en sieste. Une abeille s’égare dans les pages d’un roman russe, sans doute à la recherche d’un peu de liberté et de nectar existentiel. Café au Lait, le chat siamois ronfle comme un vieux tracteur soviétique en côte ! Les croquis s’animent : un pin tordu devient danseur, une chaise bancale se prend pour trône. Et les rires, à la Fernandel, fusent, clairs, francs, parfois un peu gras — comme les olives qu’on picore sans fin.
L’air sent le thym, le sel, et cette chose indéfinissable qu’on appelle « l’été qui dure ». Genova, le peintre admirateur du cubisme de Picasso, vient d'arriver et sort de sa poche un poème. A la surprise générale il se met à déclamer à voix haute un poème de Jacques Prévert, mais s’interrompt pour demander si quelqu’un a vu son chargeur. Chris, tirée à quatre épingles habillée d'une robe noir décolletée, coiffée comme une impératrice d'Autriche-Hongrie corrige les alexandrins entre deux gorgées de rosé.
L'ex-médecin, toujours en retard, frappe à la porte et rentre en coup de vent de Sirocco, criant à tue tête comme si tout le monde était sourd :
Les derniers seront les premiers... puis perçant le plafond des Aliscamps de son rire grave aux éclats, vous êtes donc en retard Messieurs Dames !
Et dans ce joyeux capharnaüm, chacun trouve sa place,
comme une note dans une symphonie imparfaite mais sincère.
Le soleil, désormais bas, glisse derrière les pins comme un acteur quittant la scène. La nuit approche, mais elle n’effraie personne : elle est l’invitée attendue, celle qui apporte les confidences et les étoiles. Et sur la terrasse des Aliscamps, on sait que demain, tout recommencera — Avec les mêmes verres, les mêmes voix, et peut-être un nouveau moustique élu roi. Chocolatte qui a fini sa sieste et sa philosophie menace agressivement café au lait qu'il prend pour le pays des terres de tournesol sous le ciel bleu. Mais celui-ci ne se laisse pas faire et le griffe au museau. Ça lui apprendra à respecter les plus petits.
* *
*
Sur la grande table, les verres se multiplient comme les personnages d’un roman d’été. Le pastis, souverain du Sud, règne en maître : jaune pâle, parfumé, il évoque les terrasses de Cannes, les parties de pétanque et les secrets murmurés à l’ombre des platanes. Il parle fort, ce pastis — il a l’accent qui roule, le soleil dans la voix, et un goût de vacances éternelles. Mais voilà qu’un autre prétendant s’avance, plus discret, plus mousseux : le cidre.
Le cidre, c’est la brume du matin sur les pommiers, le granit des vieux villages, le rire franc des Bretons. Il est Kérisac ! Il est Mor-Bihan « Produet e Breizh » ! Il pétille doucement, comme une chanson de marin fredonnée au coin du feu. Virgile le sert avec fierté, comme on offre un bout de chez soi. « Ici, c’est le Sud, mais moi, je verse la pluie dorée de l’Ouest, le « Ar Gouat » le « Ar Mor », cœur et âme de la Bretagne ». Puis lève son verre « Yec'hed mat » ! , dit-il en trinquant.
A quoi Gala, la Slave, lève son verre invitant les autres à faire de même:
—« Yec'hed d'ar re all! » puis dans sa langue natale accompagné d'un regard clair qui entrainait tout le monde dans un sourire :
— « За ваше здоровье ! » prononcez (Za vashe zdoróvye!)
Genova et Anita les enfants de la Bella Italia dans un canto :
— « Alla vostra salute ! » .
Le Corse, cette fois-ci ne jura pas pour son île de Beauté tellement l'expression était identique à l'italien. Il se contenta d'un regard d'approbation à l'égard de Genova et Anita.
Par contre le Parisien tenait à montrer qu'il était chez lui et d'une voix tonitruante :
—Tchim ! Tchim ! A notre santé à tous ! Puis il ajouta en riant …Allons enfants de la patrie...
Cannes, la Muse, avant de lever son verre de rosé de Provence, se tourne vers les convives réunis autour de la table des Aliscamps. Avec un sourire éclatant, elle s’exclame en provençal :
— « Bònna santat à tóuti ! » Son regard embrasse le ciel azuré, les pins chantants et les parfums de garrigue. « Je suis la cité lumière, la perle de l’Azur, là où le soleil caresse les âmes. Le rosé qu’elle tient, frais et délicat, évoque les collines de l’arrière-pays, les vendanges joyeuses et les soirées d’été.
— Ce vin, mes amis, c’est la Provence en bouteille : léger comme le mistral, fruité comme nos marchés, élégant comme nos calanques.
Elle le compare à une boisson sacrée, une essence de son pays.
— Quand on boit ce rosé, on boit le chant des cigales, la douceur du soir, et l’amour de notre terre.
Les verres s’entrechoquent, les rires fusent, et Cannes la Muse conclut :
— « A la vida, à la lutz, e à la Provença ! » Puis comme une Marianne Provençale elle entrainna tout le groupe en chantant :
Lou soulèu mi fa cantate
Lou cancan mi fa risate,
Lou mistrau mi fa volate,
Lou tambour mi fa dançate.
Lou rieu mi fa escoutate,
Lou cèu blu mi fa pensate,
Lou matin mi fa levate,
Lou cor mi fa amousate.
Et guise de refrain tout le monde enchaîna en français
Le soleil me fait chanter,
Le bavardage me fait rire,
Le mistral me fait voler,
Le tambour me fait danser.
Le ruisseau me fait écouter,
Le ciel bleu me fait penser,
Le matin me fait me lever,
Le cœur me fait aimer.
* *
*
Les bulles montent comme des souvenirs, légères et sincères. Le cidre ne cherche pas à briller — il murmure, il enlace, il réconforte. Et sur la table, il côtoie le pastis sans jalousie : chacun son heure, chacun son soleil. Un verre de rosé tente une percée, mais se fait vite oublier, trop timide dans ce duel de titans.
Les discussions s’enflamment : pastis ou cidre ? Provence ou Bretagne ? Quel breuvage inspire le mieux les poètes ? Anita vote pastis, bien sûr — elle dit que l’anis fait danser les mots. Virgile, lui, défend son cidre comme on défend la langue bretonne, ainsi que le gallo : avec passion et un brin de mauvaise foi.
Et pendant que les verres se vident, les esprits s’élèvent. Le pastis fait parler, le cidre fait rêver. Et sur la terrasse des Aliscamps, on comprend que ce n’est pas la boisson qui compte — Mais le goût qu’elle laisse dans les souvenirs.
* *
*
Autour de la grande table des Aliscamps, chacun est un monde, un accent, une vérité. Le soleil, complice, dore les visages comme un peintre généreux. Et les verres — pastis, cidre, rosé — deviennent les témoins liquides de cette comédie humaine.
Le Parisien, chemise repassée, lunettes bien droites sur le nez, parle comme un moteur bien huilé. Il sait tout, ou du moins il le croit.
Statistiquement, le pastis est consommé à 17h42 en moyenne dans le sud-est.
Dit-il en consultant sa tablette. On l’écoute avec tendresse, comme on écoute un GPS qui nous emmène dans un champ. Il corrige les citations, rectifie les dates, et ajoute des pourcentages là où il n’y avait que des souvenirs.
Le Corse, lui, ne corrige rien — il affirme. Il ne discute pas, il tranche.
— Moi je dis que le pastis, c’est la boisson des hommes. Le cidre, c’est pour les poètes et les enfants.
Il parle fort, tape du poing, et même quand il a tort, il a raison. Son accent est une gifle amicale, son regard une déclaration d’indépendance. Mais sous la carapace, on devine un cœur tendre, comme un figatellu bien grillé.
Gala La Muse, elle, ne parle pas beaucoup. Elle est là, simplement, comme une mélodie qu’on reconnaît sans l’avoir entendue. Ses gestes sont des vers libres, ses silences des alexandrins. Elle regarde Virgile avec ce regard qui fait écrire des romans, même quand il n’y a pas d’histoire. Elle est slave, mais son âme danse entre les pins et les pommiers.
Virgile, lui, est le chef d’orchestre de ce petit opéra provençal. Breton de cœur, lusitanien d'âme, provençal de corps, latin de plume. Il parle peu, mais quand il parle, les cigales s’arrêtent pour écouter. Il écrit ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il devine. Et dans son regard, Cannes n’est pas une ville — c’est une femme. Sa Dulcinée ! Il semble lui dire en pensée:
« Pues sepa vuestra merced, señora mia, que yo soy Don Virgile del Reyno de Bretaña , caballero andante, dispuesto a desfacer entuertos y a servir a vuestra hermosura con toda mi alma »
Cette phrase n'est qu'une déclaration de panache et d'amour, dans un style ampoulé et courtois de don Virgile,dans un espagnol archaïque, à sa Dulcinée de Cannes, sa dame idéalisée !
Ce que pourrait être traduit en :
« Eh bien, que Votre Grâce sache, ma dame, que je suis le Don Virgile du Royaume de Bretagne, chevalier errant, prêt à redresser les torts et à servir votre beauté de toute mon âme »
L'ex-médecin, ne crie pas, ne prescrit pas d'ordonnance non plus car, il vient d'envoyer un s.m.s. pour prévenir le groupe de son « pas de chance ». A son grand regret il sera absent à cause d'un méchant courant d'air ou de ces brusques changement de temps. Maître de la santé des autres, il devient trop souvent esclave de la sienne ! Le Corse a son idée tranchante sur la question :
— S'il gueulât mon fort sa gorge irait par le meilleur des mondes ! Qu'il ne vienne pas, comme d'habitude, nous chanter des sornettes de sa Faculté de Médecine de Paris !
Cannes, justement, est là. Pas en chair, mais en esprit. Elle est la muse solaire, la déesse de la Côte d’Azur. Elle sent le sel, le jasmin, et les promesses non tenues. Elle inspire les peintres, fait tourner les têtes, et parfois, elle fait pleurer les poètes. Elle est belle, bien sûr, mais aussi capricieuse — comme toutes les vraies divinités.
Et autour de cette table, entre les rires, les disputes, les citations et les silences, on comprend que les Aliscamps ne sont pas un lieu — mais une légende en train de s’écrire, avec du pastis, du cidre, du rosé coulant à flots et beaucoup d’humanité.
« Le rosé de Proence »
Est le vin qu’elle aime
C’est un rosé à déguster
Aux repas de clair de lune
Les soirées romantiques de l’été
Le vin rosé de Provence
Est le nectar de la Vierge Marie
À déguster au vin d’honneur à la sortie de la Mairie
Que vive la famille, allez pour une bonne santé
A la vôtre ! A la vôtre ! A la vôtre !
Pour célébrer ! Pour commémorer
Les papilles divines du Bon-Dieu
En chasuble blanche
Aux noces de Cana !
Le vin rosé de Provence
Est le vin que la Vierge Marie adore et aime
C’est la boisson aux arômes intenses
De fraise, de bonbon au cassis, de pamplemousse
Dansent sur le voile du palais aux saveurs immenses
A la fine bouche ample, pleine et fruitée
Offre avec tendresses et caresses ses nuances épicées
Ô délicat vin frais quel plaisir de te déguster
Mon pompier volontaire éteignant les incendies de l’été.
Fidèle compagnon de salades composées
Verrine avocat, saumon fromage frais,
Grillades, fruits rouges en sorbets
Ô mon bon vin aux saveurs des quatre saisons
Tu es le mari parfait et bien aimé
De charcuteries et terrines de poisson
Servir frais de 10 à 12 degrés
Franc et Côt, Gamay et Cabernet
Mis en bouteille à la royal propriété
Vin rosé de Provence
Saveurs intenses
75 cl. 11,5°
Produit en France
* *
*
C'est le 14 juillet des Aliscamps. Le soleil, fidèle une fois de plus à son rendez-vous, descend lentement derrière la vaste végétation du jardin des Aliscamps. Maître soleil qui régna toute la journée en roi de Provence est à cette heure de fin d'après midi tamisé par les feuillages des orangers. Les bananiers dansent sous une légère brise nostalgiques de la Guadeloupe d'où ils ont fait le voyage. Les fruits dorés du grand oranger, mi cachées, pendent comme des lampions, et l’air embaume le zeste et la mémoire.
Dans le Jardin des Aliscamps, là où les pierres dorment sous les citronniers,les avocatiers et où l’ombre caresse les souvenirs, une présence serpente avec grâce et mystère : l’ipomée. Grimpante tropicale de la famille des convolvulacées, elle s’élance, libre et fière, sur les colonnes antiques, les treilles oubliées, les portails blanchis par le sel et le temps. Ses tiges volubiles s’enroulent avec une sensualité presque biblique, évoquant le serpent d’Éden, non pas tentateur, mais muse éveillée.
Son feuillage en forme de cœur bat au rythme du vent marin, comme une déclaration silencieuse à l’azur. Chaque matin, ses fleurs en trompette s’ouvrent pour saluer le jour, bleu azur, violet profond, rose tendre, rouge passion, blanc virginal. Et chaque soir, elles se referment doucement, comme une paupière sur un rêve, murmurant un bonsoir au ciel étoilé.
Elle est la Marianne du jardin, l’allégorie de l’indépendance végétale. Elle grimpe où bon lui semble, défiant les règles, les haies, les murs. Elle ne se laisse ni dompter ni contenir. Elle est caprice, elle est beauté, elle est muse, elle est Cannes. Elle est la fleur emblématique, incarnation de la féminité libre, de la déesse qui inspire Virgile sans jamais se livrer tout à fait.
L'Ipomée est promesse de l’Azur. Elle est personnage de roman. Elle enlace les souvenirs, enlace les promesses. Elle est caprice et tragédie qui ne parle pas, qui ne dit pas son nom, mais elle est là, comme déesse des Aliscamps, partout.
Elle est la voix végétale de l’amour qui s’élève, du désir qui s’enroule, de la liberté qui fleurit. Elle ne se contente pas d’orner : elle règne. Et dans les Aliscamps, elle est aussi de juin au début de l'hiver la gardienne des passions anciennes, la messagère des serments oubliés, la muse qui murmure à l’oreille des statues. Elle est Ipomée l’indomptable féminité se moque du jardinier, se moque de la vie se moque du temps et n'a rien à faire du St Laurent. Sous son regard de serpent la grande table verte de jardin, un peu bancale mais vaillante, est dressée sous l’ombre parfumée...
* *
*
Mais ! Mais Maîtresse Ipomée découvreuse des objets égarés vient de dénicher dans le tronc creux de l'oranger une bouteille
d'« O-de-vie » cachée !
« O-de-vie »
O-de-vie
36°
Marque
de confiance, préférée
Couleur
brune dorée
Vert
et orange reflets
Légèrement
parfumée
Aspect
clair lumineux
O-de-vie
36°
vieillie
par des fûts de chêne et châtaignier
Goût
bien équilibré
Diverses
saveurs
Vanille,
miel, pêche, abricot
Présence
discrète
Sève
de châtaignier
O-de-vie
36°
Versez une belle étoile
Dans votre tasse de café de riche
Du beau rêve assuré
Ajoutez à des jus de fruits
Émotion, amour instantané
Température ambiante
O-de-vie
36°
Mon petit cœur,
Il ne faut pas en abuser !
O-de-vie
36° !
Iponée, envoûtante chimère, glisse entre les colonnes des Aliscamps comme une onde serpentine, distillant l’ivresse dans chaque pierre sacrée. Sous son souffle éthéré, le réel vacille, et les âmes antiques s’égarent dans un bal de brumes alcoolisées. Est-ce là l’œuvre d’un saboteur titubant, Medvedev, ancien maître du Kremlin ?
Peut-être que l’ivresse du pouvoir se mêle à celle de l’eau-de-vie, et que les dieux et les saints eux-mêmes s’en amusent.
Mais qui a osé cacher cette satanique boisson dans cet Éden des Aliscamps ? Demande St Laurent les bras en croix d'une voix de roc et à genoux à l’enivré St Roch ! Semble-t-on entendre en écho des profondeurs de la terre des ténèbres...
Le Corse se jette par terre les bras en croix de st André et se dit qu'il vaut mieux s'adresser directement aux proxys de dieu et d'une voix rauque se met à prier comme un croisé :
Saint Michel Archange
Le plus grand de dieu l'ange
Chef des divines armées
Tu es au ciel le plus rapide messager.
O grand divin Monsieur,
Je viens avec urgence te demander
Ta force exceptionnelle implorer
Et du cœur te prier
Tu dois agir, pour le bien
que les Aliscamps soient livrés du mal. Amen !
Je ne suis qu'un être humain
Dépassé par la difficulté
De cette dramatique situation
Néanmoins je ne peux pas
Je ne peux rester là les bras croisés
Rester là comme un idiot chérubin
Et ne pas agir, ne faire rien
Il y va du retour au bon chemin
Pour faire revenir dans la vie
Le juste, le droit, le bien.
Saint Michel Archange
Le bon messager
Chef des divines armées
Tu ne peux pas laisser
Les Aliscamps
Dans l'étroit chemin, dans le pêcher
Mais tu ne vois pas que ça urge.
Espèce d’idiot !
Allez ! Allez ! Nom de Dié !
Mais sauves-nous du Cocainé diable
et des voleurs et escrocs du kremelin !
Saint Michel tout cela je te le demande
Je l'ose
Mais grouille-toi !
Fais qu'il se passe quelque chose !
On ne peut pas rester là les bras croisés
Quand les Aliscamps sont en danger
Il nous faut un espoir...
Non ! Non ! Je n'en rajoute point.
Saint Michel !
Je ne fais que mon devoir !
Les amis ! Les amis « L'O-de-vie 36° » il ne faut pas y toucher. Ce n'est point la boisson des semis dieux , mais des diables tout entiers !
Crie Gala , La Slave toute désespérée — c'est un encore un acte de sabotage ou bien de dé-stabilité de ce clown cocaïné de Medvedev ! Je viens de là-bas, je sais ce qu'il en est depuis que Poutenka de ma Russie tient les clés ! Ne pas y toucher ! Pas y toucher ! Mais ne savez vous pas ce qui est arrivé ?
à
Igor Domnikov 2000
Sergey Novikov 2002
Yuri Shchekochikhin 2003
Sergey Yushenkov 2003
Paul Klebnikov 2004
Viktor Yushchenko (empoisonné, survit) | 2004 |
Andrei Kozlov 2006
Anna Politkovskaïa 2006
Alexander Litvinenko 2006
Maksim Kovalyov 2006
Anatoly Morozov 2007
Natalia Estemirova 2009
Stanislav Markelov 2009
Anastasia Baburova 2009
Sergei Magnitsky 2009
Boris Berezovsky 2013
Mikhail Lesin 2015
Boris Nemtsov 2015
Vladimir Kara-Murza (empoisonné, survit) 2015 & 2017
Denis Voronenkov 2017
Nikolai Andrushchenko 2017
Maxim Borodin 2018
Alexei Navalny 2024
etc...etc... etc...
* *
*
Après cet incident de manigance satanique dans les Aliscamps, les verres sont toujours là sur la grande table verte de jardin, toujours bancale mais vaillante — pastis, cidre, rosé — avec modération — les voix s’apprêtent à reprendre leur ballet normalement.
Virgile assis au centre, un carnet à la main, le regard tourné vers la mer.
— Ici, tout commence et tout revient comme avant. Oublions l'épisode du Clown éthylique et Cocaïné ! . Les Aliscamps ne sont pas un lieu, mais une idée. Une promesse. Une scène. Et vous, mes amis, en êtes les acteurs.
Chris, cheveux roux en bataille, robe tachée de peinture, esquisse un paysage sans visage.
— Je peins ce que je ressens, pas ce que je vois. Les visages m’ennuient. Ce sont les ombres qui parlent. Les arbres, eux, ne mentent pas.
Le Corse debout, bras croisés, regard dur.
— Tu parles d’ombres, moi je parle de lumière. Celle de l’ordre. Celle d’un chef qui remettrait les pendules à l’heure. Trop de laxisme, trop de bavardage. Il faut de la discipline.Tout pour la Patrie, rien contre la Patrie !
Génova assis en retrait, lunettes rondes, carnet de croquis cubiste.
— L’ordre est une forme. Mais la forme doit être libre. Picasso disait : « Je ne cherche pas, je trouve. » Et parfois, ce qu’on trouve dérange.
Anita arrive en chantant un air de Verdi, robe rouge, voix puissante. — Ah, mes amis ! Vous parlez d’ordre, mais l’ordre sans justice est une tyrannie. Mussolini a détruit l’âme de l’Italie. La démocratie, elle, l'a sauvée.
Gala, La Slave silencieuse, assise près d’un livre de Tolstoï, les yeux clairs, le port noble.
— La Russie est une douleur. Une douleur depuis des siècles. Poutine aujourd’hui, comme d'autres avant, est une honte. Mais Tchaïkovski, Akhmatova, Prokofiev, Navalny… eux sont mon pays. Je danse pour eux. Pas pour les tyrans.
Le Parisien chemise repassée, lunettes intelligentes, carnet de calculs .
— Vous êtes tous dans l’émotion. Moi je suis dans les faits. Les données. La logique. L’avenir est technologique, pas idéologique.
L’ex-médecin voix forte, gestes larges, barbe blanche.
— Et moi, je dis que la vérité se crie ! Le corps ne ment pas. La médecine est une science humaine, pas une machine froide.
Virgile souriant, regardant chacun.
— Et moi, je vous écoute. Je vous écris. Vous êtes mes muses, mes contradictions, mes vérités. Cannes est belle, mais vous êtes son âme.
* *
*
Le soleil joue encore à travers les feuillages, dessinant des arabesques dorées sur les dalles chaudes de la terrasse. Les cigales, infatigables, poursuivent leur récital, comme si elles accompagnaient une pièce en plusieurs actes. Et voilà que les trois dames arrivent, chacune portant un plateau comme une offrande.
Anita, robe rouge éclatante, marche comme sur une scène d’opéra. Son plateau est un triomphe de pastis : verres hauts, glaçons tintants, citron en quartier.
— Voilà le soleil en bouteille, dit-elle. Pour ceux qui aiment parler fort et penser en couleur.
Chris, les cheveux blonds en bataille et les doigts tachés de bleu, apporte le rosé. Son plateau est plus discret, mais tout aussi poétique : verres fins, vin pâle, quelques olives en équilibre instable.
— Pour les âmes sensibles et les pinceaux fatigués, murmure-t-elle en souriant.
Gala, La Slave, noble et silencieuse, avance avec grâce. Son plateau est une ode à la Bretagne : cidre doré, bulles légères, pommes tranchées comme des vers de Pouchkine.
— Pour ceux qui dansent avec le vent, dit-elle simplement.
Les hommes se lèvent, un peu maladroits, comme surpris par tant de beauté en mouvement. Le Parisien ajuste ses lunettes, Le Corse fronce les sourcils, Génova esquisse un sourire cubiste. Virgile, lui, se lève lentement, comme un poète devant une apparition.
« Ma Calliope »
Mon amie
Ma compagne mon inspiratrice
Ô ma Calliope
Reste-moi toujours fidèle
C’est ma dévote prière
Chaque jour, chaque nuit
Ô difficile amie !
C’est ma prière de Chaque nuit
« Ô ma déesse, ma Calliope,
Secoure-moi dans mon message
Donne le juste équilibre à la phrase
Tu es encore là Calliope ?
Dessine-moi avec ton nez
Écris-moi avec ton cheveu bleu
Le juste et le bon mot.
Sois gentille avec ma peur de Byzance
De la page blanche.
Ô Écrivain du dimanche !
Sois précis et clair,
Une idée, une phrase
Élève incompétent !
Sujet, verbe et complément.
Sois vrai, sois sage
Décore le tout d’une image
Mets-y du sel et du poivre
Attention à l’orthographe
Trois quatre, cinq phrases…compte jusqu’à dix
Ça y est, change de sujet,
Voici le 1er paragraphe !
Touille le tout, laisse reposer
À servir et à manger !
Ô Écrivain du dimanche
Déjà prêt à quitter la table
A la prose savoureuse
A la délicieuse poésie
Ajoute en dessert
Trois sucres de canne
De mes Antilles
Un petit bâton de cannelle
Et un autre plus grand
De folie !
— Mesdames, dit-il après une courte pause, vous venez d’apporter plus qu’un breuvage : vous avez servi l’esprit des Aliscamps. Le pastis pour le Sud, le rosé pour l’art, le cidre pour la mémoire. Et nous, pauvres bavards, nous allons trinquer à votre générosité.
Les verres s’entrechoquent, les voix s’élèvent, et la terrasse devient un théâtre de saveurs et de pensées. Et quelque part, entre un éclat de rire et une bulle de cidre, la vérité commence à se frayer un chemin.
* *
*
Puis Virgile ouvrant un vieux livre de philosophie.
— L’art est politique, qu’on le veuille ou non. Même peindre un arbre est un acte. Alors, que pensez-vous, mes amis ? L’art doit-il s’engager ?
Chris s’étire, les doigts tachés de bleu .
— L’art ne doit rien. Il est libre. Je peins des paysages sans visages parce que je refuse les injonctions. Je ne veux pas qu’on me dise quoi penser.
Le Corse soupire, le regard dur.
— L’art qui ne sert pas la nation est inutile. Regardez les fresques de l’Empire, les chants corses. Ils élevaient le peuple. Aujourd’hui, on peint des gribouillis et on appelle ça « engagé ».
Génova calme, esquissant un cube sur son carnet .
— L’art est un miroir. Il ne commande pas, il reflète. Picasso a peint Guernica, pas pour plaire, mais pour dire. Dire l’horreur. Dire la vérité.
Anita, voix vibrante, debout comme sur une scène.
— L’art est une arme ! Une chanson peut renverser un régime. Une pièce peut éveiller les consciences. Moi, je chante pour les ouvriers, pour les femmes, pour ceux qu’on oublie.
Le Parisien tapotant sur sa tablette.
— L’art est dépassé. Ce qui compte, c’est l’innovation. L’intelligence artificielle , selon Luc Ferry, peut créer des œuvres plus complexes que n’importe quel humain. L’engagement, c’est dans les algorithmes.
L’ex-médecin hausse la voix.
— Et moi je dis que l’art doit guérir ! Une peinture doit apaiser, une musique doit soigner l’âme. Trop de cris, trop de colère. Où est la beauté ?
Gala, La Slave doucement, les yeux dans le lointain.
— L’art est mémoire. En Russie, on danse pour ceux qu’on a perdus. On joue Tchaïkovski pour ceux qui ont été emprisonnés, empoisonnés , assassinés qu’on ne peut plus entendre. L’art est un tombeau vivant.
Virgile souriant.
— Alors, l’art est tout cela. Une arme, un miroir, un baume, une mémoire. Et vous, mes amis, vous êtes ses voix.
* *
*
Les verres sont à moitié pleins, les voix se sont calmées, et la lumière du soir commence à teinter les visages d’une douceur mélancolique. Les cigales ralentissent leur chant, comme si elles pressentaient que le ton va changer.
Virgile,tapotant son carnet, le regard tourné vers l’horizon :
— Mes amis… nous avons parlé d’art, de vin, de soleil. Mais le monde, lui, ne s’est pas arrêté. Il brûle, il tremble, il pleure. Et je crois qu’il est temps de parler de ce qui nous dépasse. De ce qui nous lie, malgré nos différences. Je parle de la Russie. De l’Europe. De l’Ukraine.
Un silence s’installe, dense, respectueux. Même Le Corse ne réagit pas tout de suite. Anita pose son verre, Chris cesse de gribouiller, Gala, La Slave ferme son livre de Tolstoï sans bruit.
Virgile,reprend doucement :
— Poutine, l’Union Européenne, la guerre… Ce sont des mots lourds, mais ils sont là, dans nos journaux, dans nos rêves, dans nos peurs. Et ici, aux Aliscamps, nous avons le luxe de penser, de discuter, de chercher. Alors parlons. Pas pour juger, mais pour comprendre. Pas pour trancher, mais pour éclairer.
Virgile l'air serin :
— Parlons de ce qui brûle. La Russie. L’Europe. Poutine. Que reste-t-il de l’idéal européen ?
Le Corse droit dans ses botes :
— L’Europe est molle. Elle parle, elle condamne, mais elle ne frappe pas. Poutine, lui, agit. Il est ce que l’Europe n’ose plus être : un chef.
Anita indignée.
— Un chef ? Tu appelles ça un chef ? C’est un tyran ! Il écrase les voix libres, il tue les journalistes, il envahit ses voisins. Mussolini aussi se disait chef. Il disait prétendait même que « Il Duce a siempre razzione »
La Slave la voix tremble, mais reste digne.
— Poutine est une honte. Il salit la Russie. Il ment au peuple. Il fait peur. Mais la Russie, ce n’est pas lui. C’est Tolstoï, c’est Tchekhov, c’est les larmes des mères. C'est Artiom Kamardine, poète russe emprisonné : « Mon pays n’existe plus, détruit et dévoré par un monstre qui se fait appeler Russie » De sa prison, où il purge une peine de sept ans pour avoir déclamé en public, à Moscou, des vers anti-Kremlin et anti-guerre, Artiom Kamardine a envoyé au « Monde du 11 décembre 2024 » un long texte. Témoignage et rencontre avec son épouse, de passage à Paris...
Génova.
— L’Europe a perdu sa vision. Elle est devenue une bureaucratie. Elle ne rêve plus. Elle ne crée plus. Elle réagit, elle ne propose rien.
Le Parisien.
— L’Europe est un système. Elle fonctionne. Elle évite les guerres. Elle régule. Elle protège. Mais elle n’est pas faite pour les passions. Elle est faite pour les chiffres.
L’ex-médecin.
— Et les chiffres ne guérissent pas les plaies. L’Ukraine saigne. La Russie souffre. L’Europe regarde. Où est l’humanité ?
Chris.
— Moi je peins l’Ukraine. Des champs brûlés, des visages absents. Je ne sais pas quoi dire, alors je peins. C’est ma façon de crier.
Virgile ;
— Et toi, Gala, La Slave, que veux-tu dire à Poutine, si tu pouvais ?
Gala, La Slave regardant les étoiles.
— Je lui dirais : « Tu n’as rien compris à la Russie. Tu n’as rien compris à l’amour. Tu n’as rien compris à la danse. » Et je danserais, pour ceux qu’il a fait taire.
Anita
— Et moi je chanterais. Fort. Pour couvrir ses discours. Pour réveiller les consciences.
Le Corse plus calme.
— Peut-être que j’ai tort. Peut-être que la force ne suffit pas. Mais je veux croire qu’un jour, l’Europe saura se défendre sans se renier.
Virgile
Alors chantons, peignons, écrivons. Les Aliscamps sont notre Europe. Une Union Européenne de voix, de couleur bleue, de douze étoiles dorées, de contradictions. Une Europe vivante. Une Europe qui ne peut pas se faire en un jour, mes amis.
Puis Virgile termine par une question :
Il a fallut combien de siècles, combien de temps à la France, à l'Espagne, à l'Italie, à l'Allemagne, au Royaume Uni pour être un pays , une nation ?
* *
*
Les Aliscamps, tard dans la nuit. Une bouteille de vin est presque vide. Les autres personnages écoutent en silence.
Anita debout, les bras croisés.
— Tu parles de Mussolini comme d’un chef. Tu glorifies la force. Mais tu oublies les camps, les lois raciales, les humiliations. Tu oublies que l’Italie a pleuré.
Le Corse assis, les yeux brillants.
— Je ne glorifie rien. Je dis que l’Italie avait une colonne vertébrale. Aujourd’hui, elle se courbe devant Bruxelles, elle se vend à l’Allemagne. Où est notre honneur ?
Anita
— L’honneur ? Tu veux parler de l’honneur de bombarder l’Éthiopie ? De l’honneur de signer avec Hitler ? Tu confonds virilité et barbarie.
Le Corse se lève brusquement.
— Et toi, tu confonds liberté et chaos ! Tu veux des slogans, des marches, des cris. Mais qui construit ? Qui protège ? Qui décide ?
Anita
— Je décide de chanter. De dire non. De ne pas me taire. Et ça, c’est plus courageux que de suivre un chef aveuglément. Agis individuellement et socialement. Sois ton propre chef. Réfléchis par toi-même au lieu que le chef pense seul à ta place. Fais ce que tu dois faire au lieu de laisser faire au chef ce que tu ne veux pas faire. Choisis, élis des personnes qui s'opposent et contredisent ton chef, car celui peut se tromper. Eh ! Eh ! S'il se trompe trop souvent, il pensera toujours avoir raison et toi Le Corse tu iras à la guerre ou tu finiras dans les camps !
Le Corse
— Tu crois que chanter suffit ? Que les tyrans tombent avec des mots, qu'ils chuteront avec de chansons accompagnées à la guitare ?
Anita, s’approche, le regard brûlant.
— Et moi je dis qu’un homme debout, c’est un homme qui doute. Qui écoute. Qui pleure. Pas un homme qui frappe.
Le Corse plus bas.
— Tu ne comprends pas la Corse. Tu ne comprends pas ce que c’est que de vivre encerclé, oublié, méprisé. Nous avons dû être durs. « Gloria à u populu corsu ! »
Anita plus douce, mais ferme.
— Et moi je viens du Sud. De Naples. De la misère. De la beauté. On m’a appris à sourire dans la douleur. Pas à haïr.
Virgile intervient enfin.
— Vous êtes les deux visages d’une même Italie. L’orgueil et la tendresse. La colère et la chanson. Et c’est pour ça que vous devez parler, encore.
Le Corse regarde Anita, puis baisse les yeux.
— Peut-être que je me suis emporté ! Peut-être j’ai crié trop fort.
Claudia lui tend un verre.
Et moi, peut-être que j’ai chanté trop haut.
* *
*
Dans une salle commune des Aliscamps, transformée en atelier pour un projet artistique collectif. Les tensions sont encore palpables, mais l’heure est à la création.
Virgile debout devant un tableau vierge .
— Ce soir, vous allez peindre ensemble. Pas pour vous convaincre, mais pour vous comprendre. La vérité n’est pas un bloc. Elle est une quête. Et cette quête commence par l’écoute.
Claudia soupire, pinceau en main.
— Je ne sais pas peindre avec quelqu’un qui croit que la force est une vertu.
Le Corse regarde la toile, bras croisés
— Et moi je ne sais pas peindre avec quelqu’un qui croit que la douceur suffit.
Virgile
— Alors peignez vos vérités. Celles qui s’opposent, celles qui s’entrelacent. Faites de vos désaccords une œuvre. Pas une guerre.
Claudia commence à tracer des silhouettes fines, des visages tournés vers le ciel.
— Je peins ceux qui espèrent. Ceux qui chantent dans le noir.
Le Corse ajoute des montagnes, des murs, des silhouettes armées.
— Et moi, ceux qui gardent. Ceux qui veillent. Ceux qui protègent.
Virgile observe, puis parle doucement.
— Vous voyez ? Deux mondes. Deux visions. Mais sur une même toile. C’est ça, la vérité. Elle n’est jamais pure. Elle est toujours partagée.
Claudia regarde le tableau, puis Le Corse.
— Tu crois que protéger, c’est exclure. Moi je crois que c’est accueillir.
Le Corse hésite, puis répond.
— Et moi je crois que chanter, c’est fuir. Mais peut-être que c’est résister.
Virgile
— Vous avez tous les deux raison. Et tort. Et c’est pour ça que vous devez continuer à parler. À peindre. À chercher.
Claudia tend son pinceau au Corse.
— Peins une porte. Une ouverture. Juste une.
Le Corse prend le pinceau, trace une arche dans le mur.
— Voilà. Une porte. Mais solide.
Virgile sourit.
— Une porte, c’est déjà un début. La vérité ne se trouve pas dans la victoire d’un point de vue, mais dans le chemin qu’on fait ensemble.
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