dimanche 18 septembre 2016

Route vers Huambo (Nova Lisboa)







Le Flamboyant
Après le virage à gauche la route s’écartait  maintenant de la côte et s’enfonçait vers l’est plus à l'intérieur des terres. La jeep prit de la vitesse, tout en essayant de s’écarter des nids de poules, qui étaient de plus en plus nombreux. Tout d’un coup papa aperçut un magnifique arbre tout couvert de fleurs rouges.
 -  C’est quoi ce bel arbre ? Dit papa avec curiosité et admiration. Mais aussitôt maman  renchérit :
- Il n’est pas seulement beau, il est magnifique. Jamais je n’ai vu un aussi joli arbre, cria-t-elle avec admiration et stupéfaction
- C’est un flamboyant. Vous n’avez pas fini de voir de belles choses dans ce pays ! dit Armando content que ses amis soient sensibles  à la beauté de son Angola. Lui aussi, aussitôt arrivé de métropole, il était tombé amoureux de ce pays, de ses paysages mais aussi de ses gens. Il était aussi très  heureux que son ami d’enfance vienne le rejoindre. Le pays avait besoin de gens comme lui. De plus, ce régime ne pouvait pas durer toute la vie. Un jour, il finirait bien par tomber, comme un fruit pourri. La liberté, le progrès, s’installaient presque  partout en Europe occidentale. Le Portugal n'allait quand même pas rester dans cette  longue nuit à l’écart de tout cela.  Il fallait aussi que dans ce coin d'Afrique arrive un air de liberté, un clair de lune, où européens, africains, et métisses, main dans la main, construisent un Angola arc-en-ciel. Sinon, le risque serait que ce pays tombe dans l’autre enfer de couleur rouge celui là. Qu’auraient-ils de mieux, ces soviétiques, ces chinois à nous offrir sinon les goulags et les camps de concentration. Ce  serait  fuir un diable pour tomber avec d’autres pas meilleurs ! Armando se mit à rêver, il n’évitait plus les nids de poules, mais au contraire semblait   rouler dessus à toute allure en y prenant un plaisir évident.
 Papa se tourna vers   le chauffeur et regarda avec étonnement cette manière de conduire. Armando lui répondit avec un sourire bienveillant qui voulait dire que c’était la conduite la mieux adaptée à la circonstance. Puis il ajouta avec humour.
         Mais ce sont les routes du progrès, du développement angolais dont se vente tant notre gouvernement à Lisbonne. Regarde ces chaussées Claudio. Elles sont à l’image de notre Angola et peut-être même du régime. Des nids de poule ! En disant ces mots, l’agacement se développait sur les traits de son visage marqué par le soleil. Une certaine fatigue semblait l’envahir et sans le vouloir il se laissa aller émettre  un profond bâillement. Comme pour s’excuser et maîtriser ses mauvaises pensées, il se força à faire un large sourire.  Son visage pris l'allure d' une plaine ensemencée de la plus sereine des tranquillités. Il avait changé à la rapidité d’une averse tropicale qui après avoir déversé des tombereaux d’eau et une certaine obscurité, réinstalle le soleil aussi vite qu’elle l'avait chassé. Maintenant, sur son visage l’on pouvait entrevoir même, la lumière blanche d’un champ de coton au moment de la récolte. Dans sa tête, il y avait aussi du mauvais temps  principalement aux circonstances, mais dans l'ensemble, il fallait croire que c’était un plaisir de vivre sous les tropiques. Puis se tournant vers papa :
Papy, tu ne devineras jamais ce qu'il lui a dit :
Claudio pour toi et ta femme, il n'y aura jamais de retour au Portugal,



Pas de billet de retour
mais ne t’inquiète pas, mon Claudio, tu vas aimer ce pays. Oui,vous allez aimer ce pays, si vous savez le regarder tel qu’il est, si vous savez voir avec votre cœur ces gens, ces paysages. Sinon ce sera une peine perdue.
Papy je n'ai jamais compris jusqu'à aujourd’hui la portée et la signification de tels mots mystérieux et de mauvaise augure.  Mais ma mère lui répondit du tac au tac sans imaginer le moins du monde ce qui malheureusement aller arriver quelques années après:
-            Mais mon cher Armando, quelle idée ! Nous n’avons pas prévu de billet de retour, dit maman en mettant son bébé sur le ventre pour qu’il fasse son rot, en même temps qu'elle cachait son sein.
Les yeux d’Armando étaient braqués sur la route, ses pieds jouaient sur les pédales, ses mains caressaient le levier de vitesses de la jeep. Il agissait comme un chasseur surveillant sa proie, tout en expliquant pourquoi il conduisait comme cela sur les routes  angolaises:
- Ainsi les roues de la jeep sautent sur les trous de la chaussée comme nos « palancas » noires bondissent en courant devant les crocs des lionnes qui les chassaient. Si on ne conduit pas de la sorte, les essieux risquent de se casser. Après c’est la galère. Il faut patienter sous le soleil la pièce qui se fera attendre, un, deux, trois jours, voir une semaine.  Le modernisme décalé et les non progrès routier de Satanlazar en Afrique, avait fini par endormir bébé. Maman s’était assoupi, sa tête faisait un mouvement du yoyo. Quant à papa, il regardait attentivement à travers le pare-brise couvert  de la poussière rougeâtre de la route, il semblait oublier les saloperies  du curé  et la honte du départ devant tout le village.

Armando, tu le connaissais Papy ? Vraiment gentil, il conduisait bizarrement. Sa jeep ronronnait tranquillement sur du plat. Mais en côte, à la moindre accélération, elle rugissait comme un lion en cage. Sur les trous de la route de Satanlazar, elle sautait sur les nids de poule avec l’élégance  d’un impala en pleine course. Le paysage angolais, jamais monotone, lui arrivait à toute vitesse en pleine figure. A son tour la jeep, malgré son âge, semblait le pénétrer avec plaisir et semblait goûter l'aventure. L’Angola est à nous semblait-elle dire avec amour et délectation au fur et à mesure qu’elle digérait les kilomètres. Des terres rouges défilaient de plus en plus vite. Après des petites collines, ondoyantes dans une mer de verdure, s’étendaient à perte de vue des terres grasses et riches zébrées allant du vert foncé au vert clair. Un vent doux et vigoureux comme  jeune de vingt ans  semblait prendre du plaisir à faire danser une mer infinie couleur d’espérance.
- C’est du maïs, demanda papa. Ce qu’il peut être grand ! Incroyable. Je n’en avais jamais vu de si haut…
- Mais non, mon petit Claudio! Dit Armando avec un sourire bienveillant. C’est de la Canne à sucre ! Nous en avons des kilomètres et des Kilomètres ! Elle se plaît ici. C’est une variété venant de Madère qui s’adapte bien à cette terre et à ce climat.
La terre angolaise n’a rien à voir avec la terre dure de Roustina qui est de plus parsemée de pierres.  Elles étaient tellement nombreuses que par endroits l’on aurait dit une mer de cailloux.  A cette pensée, papa se mit à rire en disant : c'est impossible que Jésus soit passé par là !
- C’est pour cela qu’à Roustina certaines personnes ont la tête plus dure que les rochers ! Maman parlait avec ironie, elle se moquaient de ceux qui les avaient chassés de leur village.
 Mais depuis l’épisode du Pingouin tropical, un certain malaise venant du passé s'était introduit dans l’horizon fermé de l'habitacle de la jeep. Armando, remédia au problème en ouvrant totalement la capote de la voiture. Cela permit de voir une fenêtre de ciel bleu qui s’ouvrait sur  un troupeau infini de moutons de nuages. Il y avait aussi quelques taches noir-marron sur d'autres cumulus  que l’on apercevait au fin fond de l’horizon, ce devaient être des chèvres. Avec ces nuages-là, on ne savait jamais ce qu’ils  auguraient.  Dans le petit monde de quatre personnes et demi, ( vu mon âge j'étais la demi personne papy) qui occupait la jeep, on sentait que leur taux de bonheur semblait croître avec les kilomètres. La voiture devenait petit à petit le pays du bonheur retrouvé. Papa et maman riaient, piaillaient, sautillaient sur les branches de l’arbre de l’illusion angolaise, comme des oiseaux au printemps. Une nouvelle saison inconnue allait commencer. Ils allaient enfin pouvoir se libérer et même, se donner le plaisir de plaisanter pour la première fois dans leur vie de jeunes mariés.
- Mais regardez-moi cette terre angolaise, elle sent la maternité. Elle a dans ses entrailles la forte odeur qui se dégage lors de la naissance des nouveaux nés. C’est profond et ça te pénètre là dedans Armando, dit papa en se tapotant la poitrine tout en fermant del'autre main la vitre de la voiture.
- N’exagère pas Claudio ! Tout nouveau tout beau ! Il y a en Angola aussi des choses moins gaies, moins paradisiaques, tu verras ! Dit Armando avec sérénité pour tempérer l’enthousiasme de papa.
Papa remarqua dans la voix d'Armando, dans la façon de prononcer son prénom que leur amitié du passé au village était renouée. Papa sentit un pincement au cœur. Qui l'aurait dit après tant d'années de séparation et de routes différentes. Papa ne dit rien, mais il se sentait heureux. L’on voyait aussi, sans se tromper, que mon père était captivé par tout ce qu’il voyait. Il adhérait de tout son corps, cœur et âme à une sorte de magie, à moins que ce ne soit, à celle d'une religion d’un dieu créateur de la beauté de la terre africaine. 
Ce qui ne surprenait pas tout à fait maman c’est que les femmes en Afrique aussi, semblaient travailler plus que ces paresseux, les hommes. En effet, régulièrement tout au long de la route, la jeep dépassait ou croisait des femmes, chargées comme des mulets. Elles transportaient du bois sec ou d'autres matériaux inconnus des yeux européens. Les hommes marchaient devant, droits comme des pieux, ils semblaient porter fièrement, comme des fusils sur l’épaule, des sortes de hues. Ils avaient  probablement égratigné un petit lopin de terre en bordure de la forêt pour planter quelques sillons de manioc. Que l’on n’aille pas croire le bavardage des  femmes. Non, le vrai travail est une question d’hommes. Mais on est fier, nous les hommes africains.
Dans un autre registre, papa très silencieux laissait sa pensée naviguer dans le passé. Si ces gens venaient vraiment de planter du Manioc, c’est que l’on était déjà à la fin de la saison des pluies. Papa se rappelait des enseignements concernant l’agriculture africaine de son dernier maître d’école, Monsieur Théophilo, surnommé par les hommes de Roustina, l’africain. Par contre ses élèves, lui avaient donné le sobriquet de gruyère. C’est qu’il avait une peau jaunâtre parsemée de trous comme le dit fromage. L’on disait en secret au village que c’était la vengeance d’une jeunesse de débauche et que son épiderme avait été ravagé par la syphilis. Ce qui était vrai, c’est qu’il avait exercé pendant une dizaine d’années en Guinée-Bissau où il avait réussi à faire une jolie petite fille métissée nommée Fernanda. Elle  fut la cause au village de grandes inondations composées d’eaux troubles, de ragots, de curiosités, de choses incompréhensibles. On n’avait jamais vu une négritude pareille dans la commune, et de plus elle était incroyablement belle. Mais comment était-il possible de croire qu’un homme d'une telle laideur puisse engendrer une telle beauté. De plus, on savait bien que selon une tradition bien pensante du village de Roustina, en Afrique, il n’y avait que des singes dans les arbres qui se faisaient des grimaces . Les riches du village se méfiaient du dit professeur comme d’un étranger. Même le curé du village croyait, dur comme bois d’ébène, qu’il fallait ne pas prendre à la légère les idées extravagantes de ce voyageur de la brousse. L’Africain avait beau être maître d’école ses idées, dites d’avant-garde, troublaient les meilleures de ses brebis au village. Monsieur le curé n’osa pas le dire lors du sermon dominical, mais laissa entendre en privé à ses amis et protecteurs que ce monsieur n’était pas seulement laid comme un pou, mais que comme une hideuse araignée, il avait tissé une toile pas claire avec le parti pro-indépendantiste le P.A.I.G.C.  Un traite qu’il fallait avoir à l’œil !
Papy, je pense que tu peux le comprendre, les chemins de l'exil pour mes parents ne furent pas de tout repos, mais





 Vogue la galère de papa !
Le cahotement de la jeep sur le sol angolais eu raison du manque de sommeil de papa. Il se permit même quelques petits ronflements que tout le monde, même bébé, accepta avec compréhension. Mon père depuis qu'il avait été expulsé vers l’Afrique, avait perdu l’appétit, le sommeil, son père, ses amis, son chien Batista et même cet air frais et pur de la montagne. Ca sentait si bon à Roustina,  surtout le matin au lever du soleil. Sa mère ne lui manquait pas vraiment. Jamais il n’avait trouvé en elle la douceur maternelle d'une main à la peau douce lui caressant le cou ou même le visage. Il se rappelait vraiment que  de sa voix masculine lui criant dans les oreilles le dimanche matin :
-            Il est déjà 9 heures fainéant. Lève-toi bon à rien ! Je suis debout depuis  5h du matin. Tu crois que je vais tout faire dans cette maison. Ton père est tout le temps parti seul le diable sait où et toi …
-            Mais c’est dimanche maman… Il parlait dans son sommeil
-             Mais  Claudio, tu es en train de cauchemarder ou quoi ?  lui dit Armando en lui posant une main sur l’épaule gauche.
-            Il ne dort pas bien depuis quelque temps, intervient maman en lui tapotant avec tendresse sur le dos, comme pour lui dire qu’elle était là pour le meilleur et le pire.
Alors, Armando se permit, un petit discours amical débordant d’amitié fraternelle.
      -  Tu sembles pensif Claudio. Quelles sont tes inquiétudes ? Calme-toi. Quoi qu’il en soit ici en Angola il y a quand même moins de problèmes qu’en métropole. Je ne parle même pas de liberté, de … Non Claudio, il ne faut pas te faire du mauvais sang. Ça ira. Au début tu auras quelques surprises. On te dira que les noirs ceci, que les noirs cela. Tous des terroristes, mais tu verras qu’ils sont comme toi, comme moi. Il faut laisser parler. Il faut écouter. Puis, tu pourras y mettre ton petit grain de sel. Mais, attention il ne faut pas avoir la main lourde avec le sel. Sinon !
Sinon quoi ? Demandèrent papa et maman en même temps.
- Sinon ce sera l’enfer, pire qu’en métropole.
- Ne t’inquiète pas Armando, dans la vie et en toute circonstance, mon Claudio sait faire de la bonne cuisine et en particulier du bon « Caldo verde », de la soupe au choux galicien. C’est un délice de voir les étoiles d’or de l’huile d’olive qui brillent autour des rondelles de saucisson rouge. Le tout ondoie dans un petit lac de terre cuite qui te chauffe joliment  ton petit jardin secret, ainsi que tes mains en hiver. Pour le sel, il sait faire mieux qu’un paludier des marais salants de la ria d’Aveiro ! Ne te fais pas de soucis Armando, il sait être bon cuisinier autant qu’un excellent diplomate. Je lui fais confiance. Ce n’est pas parce qu’il est là, mais je suis sûr de  lui, j'en  mets les mains au feu ! Oui, tu peux faire confiance à mon mari. Il a l’habitude avec eux.
- Mais c’est qui « eux », demande le lecteur qui commence à en avoir assez de tous ces non-dits de tous ces zigzagues dans ce qui devait être une ligne droite. Nous réclamons une écriture simple comme bonjour et des idées claires et droites comme des i. Pourquoi se fatiguer à réfléchir inutilement.
-Inutilement, demande l’auteur. Mais mon cher lecteur, tout le monde sait que la  simple soupe à l’eau s’avale vite mais ne rassasie pas son homme. De plus, lecteur, il faut être économe en paroles et en idées dans les contrées dirigées par des chefs qui ont toujours raison.
Papa qui ne pouvait pas être dans ce récit et dehors n'entendit pas cet échange de paroles entre l'auteur et son lecteur. Donc, comme si de rien était il se dirigea vers son ami Armando en éclatant de rire :
        Sois indulgent avec ma Virginia. Ce que les femmes peuvent être bavardes et parler pour ne rien dire ! 
                    Le Plateau de Nova Lisboa
         Tu sais grand père, près de luanda, il y a le plateau de Nova LisboaLe ciel était d’un azur à enivrer de passion les yeux les plus vides de sentiments. Ça et là, des nuages blancs rêvant d’aventures amoureuses, se déplaçaient mollement en  somnolent. De sa hauteur majestueuse, le roi soleil tropical déployait ses ardeurs. Il s’agrippait avec force à  cette grande assiette creuse à l’envers  faite de terre rougeâtre, qui s’étendait maintenant à perte de vue. C’était le plateau de Nova Lisboa. Sur les hauteurs irrégulières du plateau, le moteur vieillissant de la jeep respira avec satisfaction un air plus frais et limpide. Maintenant, l’on avait l’impression que la jeep reconnaissait son chemin les yeux fermés. Elle se disait  que c'était agréable de revenir au pays, de se retrouver chez soi, de revoir sa maison de Nova Lisboa. Même en étant plus jeune, elle n’avait jamais été folle de la côte touristique au sud de Luanda. Celle ci allait jusqu’à Moçamedes où soufflent des  vents chauds et secs qui contrastent complètement avec la froideur des eaux du courant de Benguela. Ses quatre roues sur un macadam de misère ou, les pieds dans l’eau glacée, c’était tout simplement l’enfer. Avec cette chaleur du diable, son sang jaune-or visqueux tourbillonnait à l’intérieur de sa culasse. Il risquait même de tourner au noir et devenir un liquide rêche et acide. Elle avait beau chercher l’air avec son système de refroidissant qui tournait désespérément à fond, ses poumons s’essoufflaient. Le joint de culasse menaçait de casser. Elle n’en pouvait plus. Cette température, était peut-être agréable pour ces colons, au visage de craie, venant du froid des montagnes du nord du Portugal. Cette chaleur-là ne pouvait être agréable qu’à ces Tugas.  C’est que depuis cinq siècles en Angola, ils ne foutaient rien. Rien pour mon Angola. Par contre, ces parasites,  faisaient travailler les autres comme des esclaves.
-Mais pourquoi vivent-ils dans des palais et alors que  les africains habitaient dans des baraquements ?
 Elle se posait des questions. Beaucoup de questions, mais en réalité, elle ne savait rien. Elle  ignorait même ce que c’était le froid. Elle avait entendu dire qu'elle avait été fabriquée, parait-il, dans la banlieue parisienne, par des mains calleuses aux accents étrangers. Elle était arrivée après un mois de bateau  au port de Lobito. Perdue, elle le fût par tant de changement, mais ensuite elle s’habitua à tout. Elle n’avait pas eu le choix. Ensuite, pendant sa longue vie, elle, la bagnole, n’avait fait que des kilomètres, sous la chaleur humide, toujours chargée comme une bourrique sur des routes où même le diable n’aurait pas voulut rouler. Une vie de merde, une vie d’esclave, sans jamais pouvoir décider, faire des projets, des choix. Une vie faite de dire oui Monsieur, oui Madame et amen à toutes leurs volontés et caprices. Jamais elle n’avait pu se réaliser selon sa volonté. Toujours obéir.
Néanmoins, il n’y avait en elle, ni  haine, ni  rancœur. Ce n’est pas bon d’avoir de mauvaises pensées, bien que parfois elle eut une envie folle de foncer contre un platane et de tout casser. Mais le dieu africain soit loué, cela n’arriva jamais. Elle gardait toujours de l’espoir, pour demain. Demain les choses changeront. Changeront, peut-être ! Elle ne savait pas.
Maintenant, elle était vieille, elle aurait méritée une retraite tranquille, pas une retraite de misère ne permettant pas à une personne de vieillir dignement, non, mais, elle ne se plaignait jamais. Il y avait encore en elle un élan d’énergie, venant de son cœur de fer, une envie de rendre encore service  à son patron. Un patron ou un colon, ou quelque chose de semblable, car elle n’entendait plus très bien. Non son patron, Armando, ne pouvait pas être un colon, tellement il était différent des autres crapules. Mais ce n'était pas le cas de sa garce de  femme qui se faisait appeler Dona Dulce.

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